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au conseiller Mellarede que, dans l’état des choses, les pensées du duc de Savoie devaient se tourner vers l’Italie, sur laquelle la France avait dépouillé toute prétention, étant décidée à ne plus repasser le alte espaventose alpi, excepté pour rendre un service à Son Altesse Royale et faire contrepoids à la prépondérance de la maison d’Autriche. Le duc de Savoie serait roi de la Gaule Cisalpine, et une union indissoluble serait conclue entre les rois des deux Gaules. » À ce discours, Mellarede répondait « que les visées de Son Altesse Royale n’allaient pas aussi loin, les confins de la Gaule Cisalpine étant marqués par le Rubicon, petite rivière qui se jetait dans l’Adriatique, à quatre lieues de Rimini. La Gaule Cisalpine comprendrait donc la Romagne, Ferrare et les territoires de Venise, Modène, Parme, Gênes et Milan, trop vaste domaine pour les raisonnables ambitions de Son Altesse Royale[1]. » Ainsi c’était le représentant de la France qui, avec son intelligence ouverte et déliée, pressentait déjà le rôle que la Savoie serait appelée à jouer dans l’histoire de l’Italie, et c’était le représentant de la Savoie qui, plus timide, repoussait ces rêves comme trop ambitieux.

Peu s’en fallut qu’au cours de ces négociations une destinée singulièrement imprévue et brillante, qui aurait changé la face de l’Europe, ne s’ouvrît devant Victor-Amédée. Pour désarmer l’insurmontable opposition de l’Autriche qui ne voulait point accepter Victor-Amédée comme roi de Lombardie, et pour s’acquitter cependant vis-à-vis de lui de la promesse d’une couronne, l’Angleterre s’avisa de proposer un échange. Philippe V aurait cédé l’Espagne à Victor-Amédée, en conservant la Sicile, et Victor-Amédée lui aurait cédé la Savoie, le Piémont et le Montferrat. Chose surprenante ! Ce fut la France qui se prononça avec le plus d’ardeur en faveur d’une combinaison si glorieuse pour Victor-Amédée qui aurait ceint son front de la couronne de Charles-Quint. Depuis que, par les malheurs successifs dont il avait été frappé, Louis XIV n’avait plus comme héritier qu’un enfant frêle et maladif, il ne pouvait prendre son parti de la renonciation de Philippe V à ses droits héréditaires sur la couronne de France, renonciation qui était une des conditions imposées par les alliés à la conclusion de la paix générale. Dans la combinaison proposée par l’Angleterre, Philippe V

  1. Carutti, Storia della diplomazia della Corte di Savoia, t. III, p. 436.