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la Tunisie entre la France et l’Italie, l’Égypte entre la France et l’Angleterre. Cette politique, qui lui a survécu quelque temps, tendait à rendre l’Allemagne maîtresse exclusive de la paix et de la guerre. Elle n’a pas abusé de cette situation, soit ; mais elle pouvait le faire, et personne n’aime à abandonner son sort à la discrétion d’autrui. Voilà pourquoi nous nous sommes demandé un jour s’il ne valait pas mieux nous entendre avec nos voisins et liquider à la fois les affaires contentieuses qui étaient pendantes entre eux et nous : nous l’avons fait avec l’Angleterre, avec l’Italie, avec l’Espagne. Cette politique, qu’on a appelée politique des rapprochemens, a été la partie la plus saine, la plus conservatrice, la plus durable, de l’œuvre de M. Delcassé ; elle lui a fait honneur ; ses résultats nous ont aidés à traverser des momens difficiles. Les accords que nous avons faits alors sont venus s’ajouter à l’alliance russe pour compléter un faisceau de garanties dont la paix générale devait profiter. Si l’exemple a été suivi par l’Angleterre et par la Russie, c’est apparemment parce qu’il était bon. Nous avons fait ce qui dépendait de nous pour amener un rapprochement entre une puissance qui était notre alliée et une autre qui était notre amie ; leur opposition, si elle avait persisté, aurait fini par nous mettre dans une situation fausse ; mais leur intérêt encore plus que le nôtre leur conseillait de s’entendre, et elles n’avaient pas besoin de nos encouragemens pour le faire. Cette œuvre lente, méthodique et finalement couronnée de succès, qui a été poursuivie en dehors’de la Triple alliance, avait-elle pour objet de l’affaiblir ? Nullement. La Triple alliance reste aujourd’hui ce qu’elle était hier ; elle continue de constituer une formidable accumulation de force politique et militaire. Mais les autres puissances se sont rapprochées, et qui donc pourrait leur en faire un grief ? Les visites qu’elles échangent, dans la personne de leurs chefs politiques, ne sont que la manifestation de ces rapprochemens, si naturels, si légitimes de leur part, et qui sont destinés, non pas à modifier l’équilibre de l’Europe, mais à l’affermir.

Francis Charmes.
Le Directeur-Gérant,
Francis Charmes.