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que Torcy avait pris soin de mettre en garde contre les exigences excessives du duc de Savoie, y opposait une résistance absolue. Il répondait « que Sa Majesté ne pouvoit en aucun cas consentir à mettre entre les mains d’aucun étranger deux places (Briançon et Barraux) qui étoient les clefs de son royaume, et qu’à l’égard de Monaco, le Roi ne pouvoit, ni en honneur, ni en conscience, disposer d’un bien qui n’étoit pas à lui[1]. » Victor-Amédée s’obstinait cependant dans ses exigences, et la négociation traîna ainsi, sans avancer d’un pas, durant tous les mois de novembre et de décembre. À ce moment, les deux armées prirent leurs quartiers d’hiver, et Berwick s’en fut à Saint-Germain. Il donne à entendre, dans ses Mémoires, que son départ amena la rupture des négociations. L’assertion n’est pas tout à fait exacte. Les Archives de Turin contiennent en effet une longue dépêche de Berwick, datée du 14 décembre et écrite de Saint-Germain-en-Laye, dans laquelle il précise de nouveau les conditions que Louis XIV offrait à Victor-Amédée au cas où ce prince consentirait à signer avec lui un traité particulier. Ces conditions étaient toujours, si Victor-Amédée se bornait à rester neutre, cette portion du Milanais que l’Empereur lui avait déjà cédée, et, s’il consentait à joindre ses armes à celles de Louis XIV, le Milanais tout entier, plus « une somme dont Sa Majesté conviendra avec Elle, payable annuellement ou sous le nom de subsides ou sous tel autre nom qu’Elle jugera à propos de concert avec ce prince. » Quant à la principauté de Monaco, Berwick faisait observer que « ne pouvant avec justice disposer du bien d’autrui, Sa Majesté ne pouvoit s’engager à ce que demandoit M. le duc de Savoie[2]. » Enfin, quant à la rétrocession d’Exilles et de Fenestrelles, Berwick donnait à entendre que le Roi n’y opposerait pas un refus absolu.

Offertes quelques années plus tôt, ces conditions auraient suffi peut-être pour retenir Victor-Amédée dans l’alliance française. Mais ses exigences avaient grandi avec le succès, et il caressait des rêves plus ambitieux. Aussi semble-t-il bien que la rupture des négociations soit venue de lui. La dernière pièce relative à cette négociation qui se trouve aux Affaires étrangères est une

  1. Mémoires de Berwick, seconde partie, p. 177.
  2. Archives de Turin. Le maréchal de Berwick au procureur Laurent. Saint-Germain-en-Laye, 14 déc. 1710. La dépêche porte cette mention : « Format officiel pour être présenté tel à Son Altesse Royale. »