tous deux n’ayant guère rien d’attrayant, sauf pour les amoureux de la nature et de la solitude. Quelques fermes éparses, un petit hameau, et, çà et là, à de larges intervalles, une maison de campagne : tels étaient les seuls points de contact avec la société humaine. »
Mais le poète des Confessions ne se souciait nullement de rester « en contact avec la société humaine ; » et ce paysage satisfaisait excellemment sa passion « de nature et de solitude. » Le bien-être qu’il y goûtait lui rendait, de jour en jour, tout ensemble sa santé corporelle et sa bonne humeur. Sa misanthropie même s’atténuait, et M. Collins est obligé d’avouer que, « à mesure que le temps s’écoulait, on le voyait devenir plus sociable et plus accueillant. » Il s’était lié avec des propriétaires du voisinage, M. Bernard Granville, lady Kildare ; une amie de Hume, Mrs Delany, qui poursuivait Rousseau d’une haine féroce, s’épouvantait de constater « l’impression favorable produite, autour d’elle, » par l’habitant de Wooton Hall. Et surtout, celui-ci se livrait, délicieusement, à de longues « promenades solitaires » sur les sentiers et parmi les bois. « J’ai repris mes promenades, écrivait-il à Malesherbes : seulement, au lieu d’y rêver, j’herborise ; c’est une distraction dont je sens le besoin, » Ou bien, lorsque le mauvais temps l’empêchait de sortir, il s’amusait à revivre ses années d’enfance : commodément assis dans un ample fauteuil, au coin de son feu, il se créait l’illusion d’errer dans le jardin des Charmettes en écoutant les leçons ou les confidences de sa bonne maman. « Mon occupation pour les jours de pluie, fréquens en ce pays, est d’écrire ma vie : non ma vie extérieure, comme les autres, mais ma vie réelle, celle de mon âme, l’histoire de mes sentimens les plus secrets. » Parfois, il est vrai, ces calmes et fructueuses journées étaient traversées de petits orages, — provoqués, le plus souvent, par des tragi-comédies domestiques dont j’aurai à parler tout à l’heure : mais bientôt « l’orage se passait, et le philosophe, de nouveau, se plongeait dans une existence désœuvrée et contemplative, qui, sans cesse, avec le temps, lui plaisait davantage. »
Oui, il y a eu là, dans la vie de Rousseau, un dernier rayon de soleil, dont le reflet s’est, pour nous, conservé à jamais dans ses Confessions. A la veille d’une nouvelle crise mentale, dorénavant incurable, et résultant d’une longue série de souffrances physiques et de tourmens moraux, son génie a pu, un moment encore, s’imprégner de chaude et bienfaisante lumière. Et combien il nous plaît