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Les premières semaines du séjour à Wooton furent, malheureusement, troublées par les angoisses que suscitèrent, à Rousseau, la conduite à son égard de son soi-disant protecteur et sa célèbre rupture avec celui-ci. Sur tout cela, les recherches de M. Collins ne lui ont point permis de nous rien apprendre qui pût compléter ou modifier ce que nous avaient raconté, déjà, les précédens biographes des deux « philosophes. » Tout au plus convient-il de noter que, avec toute sa déférence pour Hume et son animosité contre Rousseau, le professeur anglais est contraint de reconnaître que ce dernier, s’il a mal interprété les actes dont il se plaint, les a pourtant rapportés avec une exactitude absolue. C’est chose trop certaine, par exemple, que Hume, profitant de l’intention exprimée par Jean-Jacques de ne plus recevoir de lettres, a confisqué au passage, et probablement conservé, toutes les lettres qui arrivaient à l’adresse de son protégé ; et, encore que Rousseau se soit trompé en accusant Hume d’avoir collaboré avec d’Alembert à la rédaction, injurieuse pour lui, d’une prétendue lettre de Frédéric de Prusse, — lettre que nous savons aujourd’hui, avoir été écrite par Horace Walpole, — c’est également chose certaine que Hume, dans cette circonstance comme dans plusieurs autres, a caché la vérité à l’homme qui s’était entièrement placé sous sa garde. Tous les passages de ses lettres cités par M. Collins témoignent d’un double jeu qui, peut-être, ne lui a été inspiré que par la crainte d’éveiller ou de renforcer les soupçons de Rousseau, mais dont le spectacle n’en reste pas moins assez déplaisant : si bien que nous ne pouvons nous défendre de ressentir un vrai soulagement, — et pareil à celui que doit avoir ressenti Rousseau lui-même, — lorsque, en octobre 1766, la publication par Hume de l’Exposé succinct de ses relations avec le solitaire de Wooton vient enfin transformer ces relations, hypocrites et gênées, en une inimitié franchement déclarée.

M. Collins approuve tout à fait la publication de ce pamphlet, dont il s’étonne que son auteur « l’ait ensuite regretté ; » et nous devinons que, tout en reprochant à l’Exposé succinct d’être « d’un ton un peu acrimonieux, » il n’y a pas jusqu’à cette « acrimonie » qui ne le ravisse, dans sa joie d’assister à l’exécution du méprisable « acolaste » genevois ! Mais le fait est que nous serions tentés, nous aussi, d’approuver la publication d’un pamphlet qui, en même temps qu’il méritait à Hume les complimens de Voltaire, pour la façon dont y était traité « le plus méchant coquin qui ait jamais déshonoré la littérature, » paraît bien avoir délivré le susdit « coquin »