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commandaient les passages des Alpes par lesquels une armée savoyarde aurait pu pénétrer en France. En échange de concessions aussi considérables, il n’offrait rien d’autre que d’empêcher les Allemands de rien faire en se déclarant neutre, et il témoignait l’espoir « que Sa Majesté l’agréeroit comme arbitre à la paix générale. » Enfin il demandait que la place de Monaco, qui n’appartenait point à la France, mais qui était occupée par ses troupes, lui fût livrée.

Le duc de Savoie devenant tout à la fois le maître des passages qui conduisaient d’Italie en France et l’arbitre de l’Europe, la prétention était un peu forte. Louis XIV acceptait cependant de discuter ces prétentions avec une modération où les négociateurs de Victor-Amédée croyaient voir la preuve de l’extrémité à laquelle il était réduit, et qui les enflait d’orgueil. « Voicy, écrivait le père Arnaud à Victor-Amédée, le plus fier et le plus opignâtre ennemy de Votre Altesse Royale, adouci, humilié et repenti. Il demande, à ce que m’escrit le procureur Laurent, quartier. S’il le mérite, Dieu le sçait. Votre Altesse Royale le voit ; il s’en flatte, mais je ne le crois pas ; et s’il m’est permis d’escrire avec ma sincérité naturelle, un roy qui, comme celui de France, est allé chercher Votre Altesse Royale dans son berceau pour troubler son repos n’en devroit point trouver qu’au tombeau. J’ay, avec tout cela, une secrète, mais inexprimable consolation de voir que la Providence divine se déclare en votre faveur, et je regarde le projet que le duc de Berwick présente à Votre Altesse Royale de la part de son Roy (s’il est tel que le suggère le procureur Laurent), comme un monument éternel de la gloire de Votre Altesse Royale puisque la postérité verra par là que la France, qui a pratiqué des excès jusqu’à elle inouïs pour anéantir la souveraineté de Votre Altesse Royale, se trouve obligée de recevoir ses loix[1]. »

Le ton que Louis XIV prenait alors avec Victor-Amédée différait singulièrement en effet de celui sur lequel il s’exprimait, au temps où les hauteurs de Louvois jetaient le duc de Savoie dans les bras de l’Empereur. Cependant, le père Arnaud se méprenait sur le sens des instructions qu’avait reçues Berwick. Il se peut que Louis XIV fut repenti, mais il n’était pas cependant disposé à recevoir « les lois » de Victor-Amédée. Berwick,

  1. Archives de Turin. Le père Arnaud à Victor-Amédée, 8 oct. 1710.