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valeur scénique de la pièce. Que cette bouffonnerie énorme soit par elle-même divertissante, et que les ingénieux auteurs s’y soient avisés de plusieurs trouvailles fort amusantes, c’est l’évidence même. II est non moins évident que la troupe des Variétés est excellente. Toutefois, ni les mésaventures de Bourdier deux fois malheureux en amour, ni les multiples incarnations du policier, ni la joyeuseté de M. Brasseur, ni la fantaisie de M. Max Dearly, ni la fine gouaillerie de M. Guy, ni la gaminerie de Mlle Lavallière, ni les coq-à-l’âne, ni l’acrobatie, ni les pitreries, ni enfin tout ce régal de farce qu’on nous sert ici avec prodigalité, n’auraient suffi à déchaîner un tel enthousiasme. Mais il y a dans cette pièce un autre élément, essentiel à vrai dire, et qui a décidé de l’accueil qu’elle a reçu. Et ceci intéresse la chronique des mœurs autant pour le moins que l’histoire du théâtre. Le Roi est une pièce à allusions politiques. C’est une satire du régime actuel. On nous donne à admirer les « maximes de gouvernement » de la troisième République. Nous reconnaissons les gens en place ; nous nous réjouissons de les voir en si fâcheuse posture. Le député collectiviste est richissime et réclame pour lui le droit au capital. Le président du Conseil est un type de jouisseur. Le ministre du Commerce est celui qui ne se lave pas les mains. Ils sont tous épais, grossiers, et dépourvus de manières. Serviles devant le « Roi » et aplatis devant l’évêque, ils tiennent à leurs opinions comme à leur dernière savate. Régime de fantoches, aussi corrompu qu’aucun de ceux qui l’ont précédé, et qui n’a pas même l’excuse de l’élégance... Ce sont là de faciles railleries, qui ne font de mal à personne et dont les victimes ne songent guère à s’inquiéter. Mais telle est l’espèce d’innocente satire où se complaît le Français de tous les temps. Il est frondeur et docile. Quand il a bien médit de son gouvernement, il se sent de meilleure humeur pour le subir.


R. D.