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village en juillet, un bourgeois en manches de chemise poussant la petite voiture où dorment deux bébés, le cheval de renfort dans un faubourg attendant qu’on l’attelle en flèche, les régates à Joinville, une gaieté de cimetière, le bateau-mouche, neuf heures dans la rue le soir, la noce montée sur les chevaux de bois, etc. Chacun de ces tableautins est achevé et vaut un tableau, comme un sonnet vaut un poème. La raison de cette réussite n’est pas mystérieuse : la même sympathie a permis au peintre de voir les choses, comme elle a conduit le poète à comprendre les gens.


C’est vrai, j’aime Paris d’une amitié malsaine.
J’ai partout le regret des vieux bords de la Seine ;
Devant la vaste mer, devant les pics neigeux
Je rêve d’un faubourg plein d’enfance et de jeux,
D’un coteau tout pelé d’où ma Muse s’applique
A noter les tons fins d’un ciel mélancolique...


Car il a d’intimes souvenirs dans ce Paris des petits : il n’en a pas dans le Paris de luxe à l’usage des étrangers. Cette tendresse pour les coins familiers, ce soin amoureux à en reproduire l’exacte ressemblance, c’est aussi bien ce qui explique l’art des petits maîtres hollandais. Coppée est de la famille, et il mérite une estime de la même qualité.

Telle est sa place dans l’histoire de la poésie contemporaine. Si nous avons, dans ces quelques pages, passé sous silence une partie considérable de ses écrits : romans et nouvelles en prose, grands drames dans la manière romantique, pièces de circonstance, ce n’est pas que nous eussions été embarrassé d’y signaler de réelles beautés. A tout le moins, cette variété de production atteste chez l’auteur une rare souplesse de talent. Mais pour l’histoire littéraire un écrivain n’existe qu’autant qu’il a apporté une note nouvelle et qui, sans lui, aurait manqué. En même temps que Sully Prudhomme explorait la vie intérieure, François Coppée promenait sur les spectacles du Paris populaire et bourgeois son regard de badaud tour à tour amusé et ému. L’un et l’autre, ils ont ainsi réalisé une œuvre qui, après eux, ne sera plus à refaire : ils se sont conquis un domaine qui est bien à eux et ils en ont fait don à notre poésie.


RENE DOUMIC.