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pas un poète qui ne dût puiser à ce répertoire d’images splendides. Coppée a passé dans notre ville toute son enfance, toute sa jeunesse, toutes les années où l’imagination prend son tour et ses teintes. La campagne pour lui, c’est la banlieue ; et s’il n’avait, écolier vagabond, flâné dans le Luxembourg, il ignorerait que l’oiseau chante et que la fleur embaume. C’est un parisien. J’ai bien peur que ce mot n’éveille plus, à l’heure qu’il est, aucune idée précise. Le parisien d’aujourd’hui, pareil à Mme Benoiton, est toujours sorti. On le rencontre qui file sur toutes les grandes routes du globe. Quand, d’aventure, ses affaires ou ses plaisirs le ramènent dans Paris, comment aurait-il la sensation du chez soi dans cette ville énorme et américaine ? Il nous faut un effort d’imagination pour nous représenter ce que pouvait être ce type suranné : un parisien du Paris d’avant M. Haussmann. La promenade lui tenait lieu de voyage, et son quartier lui était un univers. Il en savait par cœur toutes les rues ; mais, suivant la saison de l’année et l’heure du jour, grouillantes de monde ou désertes, affairées ou oisives, elles lui paraissaient toujours nouvelles. Même alors et bien qu’elles n’eussent perdu ni la parure de leurs ombrages, ni le charme de leur ancienneté, elles n’étaient pas toutes fort jolies, les rues des quartiers populeux. Qu’importe ? La beauté d’un paysage est faite des émotions que nous y projetons ou des souvenirs que nous lui redemandons. Le vallon de Milly est aride ; mais Lamartine, qui y a laissé son cœur, le préfère aux enchantemens de l’Italie. Le petit parisien n’ignore pas la laideur de nos faubourgs ;


Mais c’est là que jadis, quand j’étais tout petit.
Mon père me menait, enfant faible et malade.
Par les couchans d’été faire une promenade...


Telles sont les images qu’il emmagasine, si différentes de celles qui jusqu’alors étaient réputées poétiques : ce sont celles qu’il retrouvera par la suite en lui tout imprégnées des émotions de sa sensibilité et prêtes à devenir des matériaux d’art.

De même, on sait l’antinomie qui, depuis le romantisme, sépare poètes et artistes de ce philistin : le bourgeois. Notre parisien vit dans un intérieur de petite bourgeoisie. Le père est employé dans un ministère. Une mère et trois sœurs font à l’enfant choyé une atmosphère de tendresse. On vit tout près les uns des autres. Point d’ambitions pour l’avenir : c’est déjà une assez grave question que celle du présent. Chaque jour ramène les mêmes occupations, les mêmes distractions, les mêmes soucis. Et il y a dans cette monotonie beaucoup