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d’extase que murmure le tsar, incliné sur le front de sa visiteuse ingénue. Respect et regret pieux, hommage d’un empereur à cheveux blancs à une enfant aux blonds cheveux, salut de ce déclin à cette aurore, tout à fait attendrissante et bien près d’être sublime cette rencontre de l’extrême vieillesse avec l’exquise beauté.

Partout se mêle ainsi, d’un bout à l’autre de l’ouvrage, la note familière à la note poétique, l’idéal supérieur à la proche réalité. Le parfum d’une telle musique lui vient de ce mélange. Un de ses parfums plutôt, car le grand artiste russe a fait sa gerbe avec plus d’une sorte de fleurs. Mais elles sont toutes de son pays. Et voilà comment, dissemblables à tant d’égards, incomparables pour l’esprit ou le sentiment, pour les formes ou le style, l’œuvre de M. Rimsky-Korsakoff et celle de Moussorgsky finissent néanmoins par se rejoindre et par trouver dans la communauté de leur nationalisme leur analogie et leur unité.

Par là toutes les deux, bien que nous étant amies, nous sont étrangères. Snegourotchka diffère tout autrement de nos opéras que Boris Godounow, mais en est à peine moins différente. Pour le faire voir, jusque dans le détail, le temps seul nous fait défaut aujourd’hui. Moussorgsky, nous le disions tout à l’heure, bouscule nos habitudes musicales. Il les brise avec violence et comme à coups de poing. Avec une grâce subtile et d’une main légère, M. Rimsky-Korsakoff les dénoue.


Quelques-uns, dont nous sommes, ont regretté que l’interprétation générale de Snegourotchka, par les artistes de l’Opéra-Comique, eût, avec trop d’emphase, de lenteur et de lourdeur, trop peu de naturel et de naïveté.


CAMILLE BELLAIGUE.