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pas un thème dont les notes se suivent dans un ordre banal ; pas un qui ne trace une ligne nouvelle, qui ne semble, frappant un air encore vierge, en former pour notre oreille des sons encore inentendus. Longue ou brève, développée en morceau véritable ou raccourcie en quelques accens, la phrase de Moussorgsky porte toujours une, marque singulière et comme un signe d’élection. Tantôt, c’est un mode antique ou populaire qui la colore ; tantôt, un rythme irrégulier, changeant, l’anime et l’avive, lui donne un mouvement, une allure que nous ne soupçonnions pas. Les chœurs innombrables de la foule abondent en trouvailles de ce genre, en traits, en touches faites pour nous étonner et nous ravir. C’est un chef-d’œuvre de mélodie, avant d’en être un à d’autres égards, que la scène de la niania avec les enfans impériaux. Merveille encore, merveille de mélodie ou de mélopée, la complainte de l’innocent, qui tombe, qui coule note par note, larme par larme, sur la route neigeuse où s’éloigne, allant à sa perte, la fortune de la patrie. Que si, d’aventure, une « idée » musicale, dans Boris, a moins de caractère, comme la phrase dernière du duo d’amour, il s’y trouvera néanmoins quelque chose, un détail de rythme, de modulation, de cadence, pour défendre la mélodie et pour la sauver, pour lui rendre la beauté, la nouveauté et la vie.

Et cette mélodie, admirable quand elle chante, l’est également lorsqu’elle parle. Alors même, il est vrai qu’elle demeure chantante. Ce n’est pas la moindre originalité de Boris, que la très rare façon dont se fond, dans le discours dramatique et lyrique, le mot avec la note, le verbe avec le son. S’il faut en croire les Russes, il n’est pas de musique plus adéquate, plus consubstantielle à la parole, à leur parole, que celle de Moussorgsky. Nous les en croyons volontiers. Une telle puissance d’expression et de signification émane et rayonne de la musique de Boris, que nous autres, sans comprendre ce qu’elle dit, nous la suivons note par note, avec l’illusion de la suivre mot à mot, sans que jamais rien d’elle nous rebute ou nous échappe seulement. Entre la mélodie et le récitatif, Moussorgsky, mieux que tout autre, a su conclure une étroite et singulière alliance. En des scènes comme celle de la cellule (second tableau), connue le récit, pénétrant entre tous, de Pimène à Boris (tableau final), deux formes, deux forces de la musique s’unissent, d’une miraculeuse union. Tout en demeurant deux personnes distinctes, elles n’ont plus qu’une seule nature, une seule substance, un seul être, dont chacune a sa part et qu’elles possèdent, toutes deux, tout entier.

Sur l’association de l’orchestre et du chant, il y aurait aussi beaucoup