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La tragédie poétique manquant, il ne pouvait y avoir de tragédie musicale. Aussi n’y en a-t-il point. La scène capitale, ou qui devait l’être, entre Hippolyte et la reine, est expédiée en quelques notes comme en quelques mots, en trois ou quatre pages de récitatif insignifiant. Rien ne brille au sommet de la partition ; au centre, rien ne bat. Ou plutôt, elle n’a ni centre ni sommet. Elle ne se compose guère que d’accessoires et d’alentours. C’est à peine si Phèdre par momens se révèle, quand il lui faudrait à tout moment se déchaîner. Je ne sais d’elle que deux éclats : l’un de colère, l’autre de douleur, et l’un et l’autre si courts ! Le premier, au premier acte, interrompt la cérémonie de la profession d’Aricie, laquelle était sur le point de se consacrer à Diane. C’est un beau mouvement, un beau geste sonore, et qui donne le signal d’un chœur irrité, sillonné de vocalises ou de traits : oui de traits véritables, qui filent, qui sifflent, qui percent comme les flèches de la Déesse.

A la fin de cet acte encore, Phèdre, songeant à mourir, laisse tomber quelques notes graves, profondes et déjà mortelles. Mais son discours après le trépas d’Hippolyte a le plus de beauté. Elle parle peu ici, mais comme elle parle bien ! La scène est un dialogue par brèves et fortes répliques, coupé de silences eux-mêmes éloquens, entre la reine et le chœur. « O disgrâce cruelle, Hippolyte n’est plus, » chantent les vierges en larmes. Elles chantent à peine, et bientôt le second hémistiche suffit à leurs soupirs. C’est ici de la musique en raccourci, un extrait concentré de déclamation et d’harmonie. « Quelle plainte en ces lieux m’appelle ? » interroge Phèdre qui s’avance, et sur les quatre notes, mélancoliques et montantes, d’un accord mineur, la phrase, lentement, s’avance avec elle. Elle se plaint, elle s’accuse, toujours en peu de mots, en peu de sons, mais choisis et pleinement efficaces. Derrière son récitatif, le chœur semble tendre çà et là comme un fond d’harmonie, à la fois solide et discret. La reine poursuit, dans un langage toujours juste d’accent et d’intonation, varié de rythme et de mesure, admirable surtout d’aisance et de liberté. Cela est beau, de la beauté la plus noble, la plus grave, et la plus brève aussi. Nul développement : plutôt une indication, une esquisse, et modelée à peine. Peu d’étendue, mais de la profondeur ; un art enfin dont on se demande s’il en faut ou regretter l’économie et presque l’indigence, ou vanter la concision et la sobriété.

Le tableau des Enfers, nous l’avons déjà dit, est beaucoup plus « poussé. » C’est un acte extérieur, inutile même à la tragédie, mais un acte tragique, et complet. Thésée y fait assurément figure, — une