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II

Victor-Amédée aurait cependant cessé d’être lui-même si, à peine engagé dans une alliance, il n’avait cherché presque aussitôt une porte de sortie qui lui permît de s’en dégager, et s’il n’avait mis en balance les avantages qu’il pourrait tirer d’une alliance nouvelle, fût-ce au prix d’une trahison. Nous allons le voir en effet, deux ans plus tard, essayer lui-même de rentrer en relations avec Louis XIV et de négocier une paix à part, par l’intermédiaire de celui-là même qui commandait les troupes dirigées contre lui, ainsi qu’il avait fait en 1693 lorsqu’il avait négocié avec Tessé et signé avec lui le traité de Turin. Cette tentative de Victor-Amédée n’était que très imparfaitement connue par quelques pages des Mémoires de Berwick[1]. Depuis lors, quelques-unes des dépêches de Berwick à Torcy ont été publiées, avec les réponses de Torcy, dans les Instructions données aux Ambassadeurs et Ministres de France[2]. Ces dépêches et les recherches que nous avons entreprises tant aux Affaires étrangères qu’aux Archives de Turin nous permettent de résumer brièvement les phases de cette négociation, qui du reste ne devait point aboutir.

Berwick, qui commandait en Dauphiné, c’est-à-dire sur les frontières de la Savoie, avait, durant tout l’été de 1710, guerroyé contre le comte de Thann qui commandait les armées impériales et savoyardes réunies, sans qu’il y eût, de part ni d’autre, aucune action bien décisive. Il se trouvait dans la vallée de Barcelonnette, dont les deux armées se disputaient la possession, lorsqu’il reçut avis : « qu’un nommé Arnaud, religieux dont le duc de Savoie se servoit en beaucoup d’affaires, avoit parlé à un nommé Laurent, procureur de la susdite vallée, au sujet de la guerre qui étoit entre le Roi et Son Altesse Royale et lui avoit donné à entendre qu’on pouvoit aisément trouver les moyens de s’accommoder[3]. »

  1. Collection des Mémoires relatifs à l’Histoire de France, par Petitot et Monmerqué, 2e série, t. LXVI, Mémoires de Berwick, p. 172 et suiv.
  2. Savoie, Sardaigne et Mantoue, t. I, p. 269 et suiv.
  3. Mémoires de Berwick, seconde partie, p. 172. Nous suivons la version de Berwick, mais nous devons dire que, d’après les documens dont nous avons pris connaissance aux Archives de Turin, ce serait lui qui, au contraire, aurait fait les premières ouvertures. Voici en effet ce que le père Arnaud écrivait le 23 août 1710 à Victor-Amédée : « Je ne sçay par quel motif le duc de Berwick m’envoye le procureur Laurent pour me parler des matières qui sont au-dessus de son esphère et de la mienne. Il me demande le secret. J’y serai fidelle. » Il est possible cependant que le père Arnaud, craignant d’être désavoué par Victor-Amédée, n’ait pas voulu convenir de l’initiative prise par lui.