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lorsque mon malheur au moins devrait me valoir quelque pitié, ma famille seule me les refuse. Louis-Philippe me remet en liberté, Charles X me retient en exil ; car, soyez sûr que les ordres reçus par M. de Lebzelstern ne viennent pas de l’Empereur. Il fait ce que demande le Roi. Je suis fâchée de vous parler avec si peu de ménagemens. Mais, il faut bien que je vous dise tout ce que je pense, puisque j’ai l’intention de vous demander un grand service. La franchise avec laquelle vous m’avez parlé dans d’autres temps ne me permet pas de douter de votre dévouement.

« Eh bien ! j’écris à l’Empereur, non pas pour me plaindre de son ministre, ni des rigoureuses mesures dont je suis l’objet, cette plainte serait au-dessous de moi ; mais je lui écris pour le prévenir que je pars, et qu’après m’être arrêtée quelques jours à Rome, je me rendrai directement à Prague. Je n’écris qu’à l’Empereur. Pouvez-vous, voulez-vous vous charger de ma lettre ? »

Quel douloureux spectacle que celui de cette colère ! Si la princesse oubliait, comment la femme pouvait-elle oublier les raisons qu’avaient le Roi et l’Empereur de se montrer inflexibles ? Cependant, l’interversion des rôles était complète. Marie-Caroline accusait. Elle menaçait de faire imprimer toutes les lettres qu’elle avait reçues en Vendée, et qui compromettraient jusqu’à l’Empereur lui-même. Madame finit par déclarer qu’elle irait à Prague ; qu’en dépit de toutes les oppositions, elle embrasserait ses enfans.

« Que pouvais-je répondre, a écrit La Ferronnays, sinon que, pour prouver mon dévouement à Son Altesse Royale, j’étais prêt à aller au bout du monde ? Puis, avec tout le respect qui était dans mon cœur, j’essayai de lui prouver que vouloir m’envoyer à Prague avec une lettre pour l’Empereur, sans m’en donner une pour Charles X, c’était me mettre dans l’impossibilité d’aller présenter mes hommages au Roi, ce qui, de ma part, serait ingrat et lâche. J’ajoutai que si, comme Madame le croyait, l’Empereur ne s’opposait à son voyage que sur la demande formelle du Roi, le meilleur moyen de faire tomber l’obstacle était de donner les explications que l’on désirait à Prague. Pour être déguisé, mon refus n’en était pas moins formel de me charger d’un message pour l’Empereur, si je n’en emportais pas, en même temps, un autre pour le Roi. »