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prisonnière a pu connaître le nom de ce mari « postiche »[1], découvert par Mme du Cayla et qu’Ouvrard a payé cent mille écus[2].

Bien simple était pourtant la vérité ; plus simple à coup sûr que le picaresque roman imaginé par le « juste milieu !... »

Au mois de juillet 1831, la Duchesse de Berry quittait l’Angleterre et partait pour l’Italie, un peu à l’aventure, sous le nom de comtesse de Sagana. Elle s’arrêtait d’abord à Massa, puis, vers la fin de l’automne, arrivait à Naples, pour y retrouver un bien cher ami d’enfance, le comte Hector Lucchesi-Palli.

On ne badine pas longtemps avec l’amour, sous le beau ciel d’Italie, et bientôt l’amour de la Duchesse pour Lucchesi était béni, à Rome, par le Père Rosaven, muni, ainsi qu’en témoigne un document authentique[3], de « toutes les facultés nécessaires pour procéder à un mariage sans témoins. »

Le soir même, mari et femme partaient pour Massa, sans avoir mis âme qui vive dans la confidence de leur bonheur.

Il importait grandement, en effet, que, même pour ses plus fidèles, Marie-Caroline demeurât et Duchesse de Berry et tutrice du prochain Roi de France. Mais elle n’avait malheureusement, pour justifier cette double ambition, ni le calcul, ni la clairvoyance de Jeanne d’Albret, ou de Marie-Thérèse : d’où l’imbroglio de son roman d’amour et de son roman politique. Celui-ci est connu ; celui-là l’étant moins, j’en veux raconter un épisode intéressant parce qu’il précéda juste de neuf mois bien comptés l’aventure de Blaye…

  1. Mémoires, p. 126.
  2. Ibid., p. 129.
  3. Le 14 décembre 1831, je soussigné certifie que Son Altesse royale Marie-Caroline-Ferdinande-Louise, Madame duchesse veuve de Berry et M. Hector-Charles comte Lucchesi-Palli de Campo-Franco s’étant adressés à moi confesseur, afin de s’unir secrètement par les liens du mariage, des raisons de la plus haute importance les empêchant de le faire publiquement, muni de toutes les facultés spéciales nécessaires pour procéder à cette union dans le plus grand secret, je les ai conjoints en mariage légitime sans présence de témoins, comme j’en avais le pouvoir. En foi de quoi trois copies du présent acte ont été écrites de ma main dont deux pour les parties contractantes, la troisième devant rester déposée dans les archives secrètes du vicariat de Rome, en témoignage de vérité. A Rome 14 décembre 1831. Jean-Louis Rosaven. — Soussignés, certifions la vérité de l’acte ci-dessus. Rome ce 14 décembre mil huit cent trente et un. — Marie-Caroline — Hector-Charles Lucchesi-Palli.
    Cette pièce que M. Thirria a été le premier, je crois, à signaler à la p. 234 de son beau livre : La Duchesse de Berry, est inscrite à Rome à son rang de date le 14 décembre 1831 sur un registre spécial in libro primo matrimoniorum, p. 117 aux archives secrètes du vicariat au Vatican, ainsi que M. le vicomte de Reiset a pu le constater. Voyez p. 379 de son livre : Marie-Caroline Duchesse de Berry.