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« Mes précautions sont prises pour être averti des premières douleurs... J’ai, sous le plancher, un sous-officier aux écoutes sur une échelle à siège, et, dans la nuit, un officier ira plusieurs fois à sa porte.

« Le jour, nous la visitons cinq fois : Ménière de 9 heures du matin à 10 heures ; mon aide de camp de 11 heures à midi ; Ménière de 1 heure à 2 heures après-midi ; moi, de 2 heures à 4 heures ; Ménière de 7 heures à 11 heures du soir. Dans les intervalles, l’officier de service y entre sous un prétexte, ou sous un autre. »

L’espionnage finit par devenir si indécent qu’il faillit amener une rencontre entre le comte de Brissac et Bugeaud.

« J’étais exaspéré, écrivait celui-ci, des scènes qu’on me faisait à la Cour.

« — Que me diriez-vous, m’avait dit M. de Brissac, si dans de pareils momens, j’allais visiter la chambre de votre femme et tâter son lit ?

« Comme son geste et son ton étaient impertinens, je lui répondis :

« — Je vous donnerais un soufflet et un coup d’épée... Mais ma femme n’a pas fait la guerre civile. Elle n’a pas non plus accouché devant un nombreux public, ni montré à vingt grenadiers et à un maréchal de France que son enfant tenait à elle...

« Ces gens-là parlent et argumentent comme s’ils étaient encore aux Tuileries. Je suis bien décidé à ne plus leur parler de rien, jusqu’au moment de l’exécution...

« ... Je reconnais que nous devons passer outre, parce que toute opposition ne serait qu’affaire de tactique. J’ai aujourd’hui la conviction complète que les attaques de la Duchesse sont simulées, au moins pour les trois quarts.

« A compter du 10, mes témoins coucheront à la citadelle ; le jour, je les préviendrai par trois coups de canon tirés du bastion du fort[1]. »

Louis-Philippe, Deutz, M. Thiers, Mme de Boigne respiraient enfin le 10 mai.

« Nos incertitudes, nos appréhensions sont terminées ; les choses se sont passées à notre satisfaction. J’espère que le gouvernement et le pays seront contens ! écrivait Bugeaud.

  1. Archives Nationales, f7 12171, dossier 5 ; p. 69.