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seuls communiquer, car ils sont dans le même appartement ;

« Je serais loin de vouloir isoler M. de Brissac ; je crois à cet homme l’âme si honnête, qu’il serait incapable de se prêter à un crime. Sa présence me paraît donc une garantie. Ses lettres à sa femme m’ont convaincu qu’il y a, dans ce couple, beaucoup de vertu. »

Ce disant, Bugeaud avait raison. Le comte Emmanuel de Brissac était le type accompli de l’homme de bien et du gentilhomme. Il n’est pas à parler de l’illustration de sa race ; mais on peut dire que nul de sa maison ne montra, en aucun temps, plus noble fidélité. Ne se plaignant jamais, acceptant avec une incomparable dignité sa position difficile, le comte de Brissac avait su en imposer à Bugeaud dès la première heure...

... « Il a servi. Il aime le militaire, » ajoutait le général, qui se promettait d’escompter, au profit de sa surveillance, la camaraderie de M. de Brissac avec le même sans-gêne qu’il mettait à charger Mme d’Hautefort des plus douloureuses commissions.

« J’ai fait demander Mme d’Hautefort, écrivait-il, comme s’il se fût agi d’une simple cantinière.

« — Madame, lui ai-je dit, le moment est venu d’employer avec vous la plus grande franchise. Chez les belles âmes, la franchise provoque la réciprocité, je compte là-dessus !

« Le gouvernement veut enfin sortir de l’incertitude où il est. Il veut s’assurer que l’événement qui doit être la suite de l’état qu’on suppose, ou plutôt dont on a la presque certitude, ne pourra pas lui. être dissimulé ; il m’ordonne des mesures qui doivent être prises à l’amiable, ou d’autorité. Je n’appliquerai pas ce dernier moyen. Vous allez le voir dans la première page de ma réponse, mais un autre l’appliquera. C’est à vous de juger, madame, s’il n’est pas plus avantageux pour Mme la Duchesse de Berry, pour vous, pour M. de Brissac, de porter Mme la Duchesse à prendre un parti ; il y en a deux : l’aveu de la grossesse, si elle existe ; la constatation de l’état, s’il n’y a pas de grossesse.

« Voyez, madame, si vous avez assez de force, assez d’attachement à la Duchesse pour aborder la question ; je pense qu’il faut le faire avec une entière franchise, et lui montrer la dépêche du gouvernement et les deux premières pages de ma réponse : Elle connaîtra mes sentimens ; elle jugera si elle doit me conserver auprès d’elle, en avouant son état, ou en souffrant à