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secret qui, chaque jour, se trahissait davantage sous l’œil épouvanté des uns, sous l’œil moqueur des autres et que, dans l’intérêt de son fils, elle défendait contre tous.

Quoi qu’elle fit, on soupçonnait sa grossesse à Paris, et M. Thiers, désireux de parachever l’œuvre si heureusement entreprise, avec Deutz (la vérité est loin des légendaires pincettes)[1], ne rêvait que de faire accoucher publiquement Marie-Caroline. Mais encore fallait-il trouver le bénévole accoucheur.

Le colonel Chousserie, qui avait accompagné la Duchesse, de Nantes à Blaye, lui marquait trop d’égards pour n’être pas suspect de mystérieuses connivences. M. Thiers chercha un custode plus rassurant, et finit par le rencontrer en la personne du général Bugeaud.

La correspondance de cet extraordinaire ange gardien rapporte tout ce qui se dit, se fait, s’écrit, se mange[2] dans la citadelle de Blaye, et forme aux Archives Nationales un énorme dossier…

Bugeaud, bonhomme au fond, mais plus capable de conquérir l’Algérie que le cœur d’une jolie femme, s’y montre tour à tour loustic, justicier, gynécologue, moraliste. Rien n’est plaisant comme de le voir ainsi changer de livrée. Il n’est éternel que dans son amour, mais quel amour ! pour le trône de Juillet.

Pourtant faut-il lui rendre cette justice qu’il mettait, dès son arrivée à Blaye, le marché à la main de qui l’y avait envoyé.

[3] « Vos instructions, écrivait-il au maréchal Sébastiani, comme toutes celles qui sont rédigées loin des lieux de l’exécution, sont susceptibles de nombreuses modifications, à moins que l’on ne soit absolument décidé à ne garder plus aucun ménagement avec la Duchesse de Berry. Convaincu qu’une telle détermination ne serait ni dans l’intérêt du Roi, ni dans celui du pays, je vous prierais, s’il en devait être ainsi, de charger un autre que moi de l’application des mesures extrêmes…

« S’il est vrai que la Duchesse de Berry soit grosse, elle l’est tout au plus de six mois ; il n’y a donc pas urgence à employer

  1. La légende veut que M. Thiers ait offert, avec des pincettes, à Deutz, le prix de sa trahison. On verra au contraire (Arch. Nat., f7 12177-193 ; Confession de Deutz) en quelle reconnaissante affection le personnage tenait son ministre.
  2. Le relevé des menus quotidiens se trouve aux Archives (f7, 12174).
  3. 22 février 1833 (Archives Nationales, F7, 12173, dossier 13, p. 23).