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trahisse ses amis ? que la duchesse de Dino, qui est coquette, s’amuse « à faire tourner la tête de l’archevêque de Paris[1] ? »

Entre le bien possible et le mal incertain, Mme de Boigne n’hésite jamais ; pour vous amener à partager son opinion sur les gens, elle fait parler ceux qui ne disent rien et n’écoute pas ceux qui parlent.

Ce ne sera pas sa faute, si vous ne tenez pas Louis XVI pour un sot, Marie-Antoinette pour une coquette, le Comte d’Artois pour un poltron et sa femme, la mère du Duc de Berry, pour... je ne sais quoi[2].

Quels microbes enrageaient donc, à ce nom de Berry, dans l’encrier de Mme de Boigne, pour que sa plume ait aussi tant craché sur la prisonnière de Blaye ?

Certes, ce serait mal connaître la Duchesse de Berry, et la mal défendre, que de vouloir la canoniser ; elle tenait plus, en effet, de Mme de Longueville que de Jeanne d’Arc ; mais ses voix, pour n’être pas célestes, n’en étaient pas moins honnêtes.

Il faudrait une oreille terriblement fausse pour ne pas les réentendre telles, aujourd’hui que s’est éteint le brouhaha qui accueillait la princesse à sa sortie de prison.

Je dirais volontiers, — si ces deux mots ne hurlaient de voisiner, — que Mme la Duchesse de Berry, en Vendée, comme à Blaye, a été victime de son héroïque inconscience : rien ne l’avait préparée au rôle qu’elle jouait. Son inexpérience, autant que sa hardiesse, autant que sa franchise, autant que sa gaieté toute napolitaine, l’exposaient, dans ses propos, comme dans ses actes, à d’irréparables étourderies. Ses dispositions, quelles qu’elles fussent, s’envolaient avec la minute qui les avait vues naître. D’une sincérité aussi absolue que momentanée, femme par instans, politique, ambitieuse par intermittences, avec des chutes de volonté et des sursauts de colère, elle n’était, à toute heure, égale à elle-même que par sa vaillance et par son cœur.


I

Depuis son équipée vendéenne pour laquelle certains royalistes eussent volontiers, comme ils disaient, « pendu Walter Scott, » la Duchesse de Berry vivait, à Blaye, tenaillée par un

  1. P. 204.
  2. Mémoires, t. I, p. 36.