Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/869

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tant, en ajoutant qu’ « un protestant a quelque effort à faire pour être, dans son pays, autre chose qu’un étranger. » Cette explication, qui vaut peu de chose en elle-même, ne s’appliquerait point à Scherer, car il n’avait jamais été étranger, et il avait cessé d’être protestant. On en peut trouver deux autres. La première est toute à son honneur. C’est qu’il n’a jamais voulu se laisser inféoder à aucun parti, au moins comme critique et comme penseur, qu’il a toujours conservé une entière liberté de langage, et qu’il n’a jamais brûlé d’encens devant le dieu populaire. Il acceptait la démocratie comme un fait nécessaire, mais il la jugeait, et la démocratie n’aime point à être jugée. A une brochure d’une certaine importance qu’il avait écrite peu après que le ministre des Affaires étrangères de M. Thiers avait été battu à Paris par un instituteur de Lyon, il avait été tenté, disait-il lui-même, de donner comme épigraphe : « La démocratie, c’est M. Barodet. » A la réflexion, il avait remplacé cette épigraphe, un peu insolente, par cette phrase empruntée à Tacite : Sine ira et studio quorum causas procul habeo. Mais la démocratie n’admet point cette indifférence et ce détachement. Elle ne le lui a point pardonné. Quant à la seconde explication, c’est à lui-même que nous la demanderons. Parlant de Victor Hugo, au lendemain de sa mort, il écrivait : « On n’aura pas complété cette image, on n’aura pas réuni tous les rayons dont la tendresse se plaisait à faire une auréole au poète, si l’on ne joint à la magie du talent et à la puissance de l’œuvre les idées généreuses et les qualités personnelles, le patriotisme, l’humanité, la foi. Oui, la foi ! Victor Hugo était optimiste, c’est-à-dire croyant. Il avait confiance dans la nature humaine, dans la société et son avenir. La gloire n’ira jamais aux sceptiques ; le peuple n’aime que ceux qui partagent les certitudes ou les illusions dont il vit lui-même. »

Scherer n’était ni un optimiste, ni un croyant. La gloire ne lui est point venue, ni même la popularité, comme à Sainte-Beuve ; mais, s’il fut un pessimiste et un sceptique, il fut, du moins, un sincère, et sa haute probité intellectuelle méritait mieux que la pénombre où il est demeuré. Gréard a éclairé cette pénombre d’un rayon. Ceux qui ont aimé, ou simplement connu Scherer, doivent lui en savoir gré.