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celle de l’âme, la liberté morale, et, d’une façon générale, la valeur objective des connaissances humaines, pour aboutir enfin au scepticisme en métaphysique et au déterminisme en morale. Gréard l’accompagne au long de cette voie douloureuse que Scherer mit dix ans à parcourir. A chaque station, les raisons que Scherer a pu avoir de douter sont exposées avec une impartialité dont Gréard pousse le mérite au point de ne jamais laisser apercevoir ce qu’il pense lui-même sur les graves questions qu’il ne peut se dispenser de traiter. Il se borne à rendre un juste hommage à la probité intellectuelle de Scherer, n’hésitant pas à se mettre en contradiction publique avec lui-même et à démolir de ses propres mains l’édifice sous le toit duquel il avait cru trouver un refuge. Il l’accompagne d’étape en étape, jusqu’au jour où, ayant suspendu le cours libre qu’il avait commencé, fait cadeau à une bibliothèque publique de ses livres d’exégèse et de théologie, pris congé d’amis qu’il ne devait pas revoir avant longtemps, Scherer quittait Genève pour venir à Paris et y mener une vie nouvelle d’indépendance dogmatique, non sans pousser parfois un soupir à la pensée du prix dont il avait payé cette indépendance. « C’est l’avenir, sans doute, écrit-il, c’est l’assainissement des sociétés, c’est l’idéal qui se réalisent ainsi par des forces inconscientes. Nous avons besoin de le croire. Malheur à nous si nous en doutons ! Et néanmoins, quand la lutte s’arrête un moment, quand le penseur redevient homme, quand il regarde en arrière, quand il écoute les gémissemens qu’il a arrachés ; oh ! qu’il trouve alors son sentier rude et sauvage, et qu’il donnerait volontiers la jouissance de sa conquête pour l’une de ces douces fleurs de piété et de poésie qui embaument encore le sentier des humbles. » Nous sommes en 1860. Scherer a quarante-cinq ans. Désormais, nous n’aurons plus affaire en lui qu’à l’écrivain.

Les nombreux articles littéraires publiés par Scherer dans le Temps ou ailleurs et rassemblés sous ce titre : Etudes sur la littérature contemporaine forment neuf volumes auxquels il faut ajouter, pour avoir son œuvre complète, deux petits volumes sur Grimm et Diderot, et encore un volume antérieur intitulé : Mélanges d’histoire religieuse. Cette réunion d’articles épars constitue un des recueils les plus complets où l’on puisse étudier et suivre le mouvement des esprits pendant vingt-cinq ans. Le titre en est même, à un certain point de vue, trompeur.