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les soucis mesquins qui avaient pesé sur sa première jeunesse. Tout semblait lui sourire. Ce n’étaient pas seulement les salons de l’opposition qui lui faisaient fête. Ses adversaires s’inclinaient devant son talent, et Sainte-Beuve, dans un article remarqué, l’adjurait de renoncer à la politique pour se consacrer aux pures lettres. A trente-sept ans, ce qui en ce temps-là était très jeune, il était nommé de l’Académie française, et sa réception par M. Guizot faisait événement. Ainsi le triple vœu qu’il formait dans ses rêves d’ambition juvénile se trouvait presque complètement réalisé, car il ne connaissait pas seulement la gloire, et, sinon la richesse, du moins l’aisance : il était aimé et il aimait. Une satisfaction manquait encore cependant à son âpre désir : c’était le commandement.

« Désirer la gloire, a-t-il écrit dans un morceau sur l’Ambition, c’est entreprendre sur l’imagination des hommes ; désirer le commandement, c’est entreprendre sur leur volonté... Faire sienne la volonté de ses semblables et, par conséquent, leur puissance et leur part d’action sur le monde, vouloir en eux, agir par eux et accomplir par leur entremise des actes si importans par leur nature ou par leurs effets qu’ils ressemblent à des manifestations de la puissance divine, quelle extension visible de notre être, quelle multiplication de nos forces, quelle élévation, ou plutôt quelle transformation de la nature humaine ! » C’est à cette transformation que Prevost-Paradol aspirait de toute l’ardeur de son être. Il avait soif de l’action. Sans doute il savait que la pensée demeure la forme supérieure de l’action. Il savait que celui-là, philosophe, historien, savant, qui a mis en circulation, dans le monde des idées, une vérité nouvelle ou même une erreur, agit en réalité davantage sur son temps et sur les temps à venir, que l’homme de guerre par le gain de quelque bataille ou l’homme d’Etat par l’accomplissement de quelque dessein politique. Mais, sans compter que cette forme de l’action est le privilège de quelques esprits supérieurs à la hauteur desquels Prevost-Paradol ne se sentait peut-être pas, elle ne s’exerce jamais qu’à la longue, et il était de ceux auxquels l’attente pèse et dont l’ardeur voudrait pouvoir dévorer le temps. Aussi ne concevait-il l’action que sous une forme : la politique, à laquelle cependant il s’excusait presque auprès de Sainte-Beuve de ne pouvoir renoncer : « Je voudrais qu’il en fût autrement, lui écrivait-il, que je ne le pourrais pas. Je suis comme les amoureux