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un sous-titre : Plutarque ou le Sage, Prevost-Paradol ou l’Ambitieux, Scherer ou le Sceptique, et à ce point de vue, elles sont bien des petits traités de morale. Je laisserai de côté la biographie du Sage pour m’attacher à celle de l’Ambitieux et du Sceptique.

Ambitieux, Prevost-Paradol l’était au plus haut point, mais à Dieu ne plaise qu’en me servant de ce mot, je porte la moindre atteinte à la mémoire d’un homme que j’ai beaucoup connu, beaucoup goûté quand j’étais jeune, et qui, sous certains rapports, était une des plus nobles et des plus séduisantes natures qu’il fût possible de rencontrer ! Aussi m’abandonnerai-je au plaisir mélancolique de parler un peu de lui. Il semble que Prevost-Paradol ait eu le sentiment que la qualification d’ambitieux pourrait un jour lui être appliquée lorsqu’il disait : « N’est pas ambitieux qui veut, et bien des gens reçoivent ce nom ou même s’en défendent comme d’un blâme qui n’y ont aucun droit et ne sont pas dignes de le porter, » et lorsqu’il définissait l’ambition : « l’âpre désir du commandement ou de la gloire. » Ainsi définie, l’ambition est un des plus nobles sentimens que l’homme puisse connaître. C’est un des principaux ressorts de l’activité humaine, c’est le ferment qui fait lever la pâte. Dès l’École normale, dès le collège, Prevost-Paradol fut ambitieux et il ne s’en défendait point : « Oui, s’écriait-il, j’ai mille raisons d’être ambitieux et amoureux de la vie ! Je voudrais être puissant ! Je voudrais être riche ! Je voudrais être aimé ! » Peu s’en est fallu que ce triple vœu n’ait été accompli.

Il avait eu une enfance triste, une jeunesse difficile et pauvre, dont il avait noblement supporté les privations : « Es-tu en état de me faire dîner au Palais-Royal ? J’ai douze sous à moi, » écrivait-il à Gréard lui-même, le jour où il apprenait que l’Académie française lui avait décerné un prix pour son Bernardin de Saint-Pierre. Mais il triomphait peu à peu de ces difficultés, et fièrement, par son seul mérite, par les moyens les plus nobles, par le travail et par la plume, il faisait, ainsi qu’il le disait lui-même, sa trouée. Une remarquable thèse de doctorat, sans parler d’autres travaux qui avaient attiré l’attention de ses chefs, lui valait d’être nommé suppléant du cours de littérature française à la Faculté des lettres d’Aix. Il y enseignait assez longtemps pour sentir se révéler et se développer en lui un don que, toute sa vie, il devait caresser le rêve d’exercer, u II vous a une parole,