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monde. Ainsi qu’un corps qui aurait des yeux à toutes ses parties serait monstrueux, de même un État le serait-il si tous ses sujets étaient savans. Le commerce des lettres humaines bannirait absolument celui de la marchandise qui comble les États de richesse et ruinerait l’agriculture, vraie nourricière des peuples. C’est par cette considération que les politiques veulent, en un État bien réglé, plus de maîtres ès arts mécaniques que de maîtres ès arts libéraux pour enseigner les lettres. » Ceux qui menaient, contre l’enseignement du latin une aussi vigoureuse campagne ne se doutaient probablement pas qu’ils avaient un ancêtre aussi reculé. Mais Richelieu n’entendait assurément pas supprimer les maîtres ès arts libéraux, tandis que les partisans du latin semblaient attribuer à la prééminence de l’enseignement classique dans notre pays les malheurs de la France. De même que, pendant un temps, on avait fait honneur à l’instituteur prussien du gain de la bataille de Sadowa, de même peu s’en fallait qu’on n’attribuât aux Real Schulen l’essor de l’empire d’Allemagne. Gréard ne pouvait manquer de s’élever contre ces exagérations. « La culture gréco-latine, écrivait-il, est le fond de notre propre littérature, de nos arts, de notre histoire, de toutes nos traditions nationales. Elle a été le levain du génie français. La grande culture classique, conservée, affermie au profit de ceux qui peuvent en recueillir le bénéfice, est la garantie de cette prééminence intellectuelle qu’il faut garder comme un patrimoine sacré. »

Il ne méconnaissait cependant pas la nécessité de développer, à côté de l’enseignement désintéressé des humanités, un enseignement utilitaire dont l’objet serait « de fournir des chefs à cette armée de travailleurs que forme l’enseignement primaire, dans l’agriculture, dans le négoce, dans la banque, dans l’industrie, dans l’administration des grandes compagnies, dans ce vaste domaine enfin qu’on appelle les affaires. » « Tout élément de variété dans les études secondaires, écrivait-il encore, nous paraît un élément de fécondité et de force. Dès aujourd’hui, nous sommes prêts à applaudir à l’expérimentation des idées nouvelles. » La fréquence de ces expérimentations ne laissait pas cependant de l’effrayer. Lors même qu’il en sentait la nécessité, il voulait qu’elles fussent opérées avec lenteur et prudence, estimant « qu’ajourner une réforme pour les esprits qui n’ont en vue que le bien public est souvent le meilleur moyen d’en rendre