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Louis XIV avaient porté leurs fruits et noué contre la France la coalition formidable qui porte le nom de ligue d’Augsbourg. La guerre commença à l’automne de 1688 et le Roi n’y oublia point « les intérêts » de sa belle-sœur : il envoya son fils conquérir le Palatinat. La règle monarchique exigeait que Madame fût de tout cœur avec les armées de sa patrie d’adoption, même contre sa patrie d’origine ; règle barbare au premier abord, indispensable pourtant, si l’on y réfléchit, à la sécurité des royaumes où la famille régnante est mêlée d’étrangères. Aussi les manquemens à cette servitude ont-ils été, de tout temps, difficilement pardonnes, aussi bien par les peuples que par les rois. Madame, en 1688, y manqua dès l’ouverture de la campagne. Elle ne se cacha point de penser et de sentir en Allemande, et non en Française. Au Grand Dauphin, lui détaillant ses futures conquêtes et attendant des remerciemens, elle repartit froidement : « Je ne puis avoir que de la douleur et nulle joie de voir qu’on se serve de mon nom pour ruiner ma pauvre patrie[1]. » À M. de Montausier, la complimentant de ce que le Dauphin « allait lui conquérir son bien et ses terres[2], » elle répliqua encore plus sèchement : « Bien loin d’en ressentir de la joie, j’en suis très fâchée. »

Elle envisageait ce qui allait se passer avec un mélange d’horreur et de colère. Déjà courait le bruit « qu’on se préparait à brûler, » et justement au Palatinat. D’autre part, — car il faut tout dire, — Liselotte savait que les conquêtes de la France, — si nous en faisions. — seraient pour la France et non pour elle. Il n’y aurait pas de contrat ni de testament qui tînt, et elle se sentait lésée, dépouillée, et écrivait rageusement : « Si Monsieur… ne veut pas ouvrir les yeux pour voir comme on nous prend ce qui nous appartient, je ne peux pourtant pas empêcher les miens de voir la vérité. » Elle ne se découvrait aucune raison de s’intéresser à nos armes. Louis XIV le sut, et ce fut assurément ce qu’il eut le plus de peine à lui pardonner dans toute leur vie. Lui non plus, il ne cacha point sa façon de penser.

Les événemens marchaient. Le Grand Dauphin avait conquis le Palatinat, et Louvois, sans s’occuper de Madame, avait donné l’ordre de « tout brûler et rebrûler, » pour nous couvrir du côté de l’Allemagne par un désert où les armées ennemies ne pussent point subsister. Le 18 janvier 1689, où fit sauter une partie du

  1. À la duchesse Sophie, du 26 septembre 1688.
  2. À la même, du 10 novembre 1688.