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arrachée à sa mère et envoyée à Hanovre, chez sa tante Sophie. À quel sentiment avait obéi Charlotte en s’encombrant de cette friperie ? Était-ce désir d’avoir un souvenir de ses enfans ? ou désir d’empêcher que leurs petites défroques ne fussent données aux bâtards de la maîtresse triomphante ? Les deux, très probablement, et les deux inspirent de la compassion pour la mère malheureuse.

Les agens français envoyés à Heidelberg pour y suivre les affaires de Madame vendirent ce bric-à-brac à l’encan. En réunissant tout, ils en tirèrent 2 655 florins, plus 756 florins pour le carrosse et ses six chevaux noirs[1]. Le gros du mobilier provenant de Charles-Louis et du prince Charles fut aussi vendu aux enchères ; ci 24 016 florins. Leur cave produisit 9 073 florins, 53 kreuzer, plus 216 florins d’eau-de-vie, et la vaisselle d’argent 32 383 florins, 39 kreuzer. On remarquera la modicité de ces chiffres, s’agissant de princes souverains, et non des moindres de l’Allemagne. À la vérité, les objets de prix avaient été réservés. Ils furent expédiés par chariots à Saint-Cloud, un premier convoi en 1686, un second en 1688. Les frais de transport se montèrent à 2 014 florins, 46 kreuzer. Le nouvel Électeur laissait faire ; il cédait sur ce qui n’était pas « la terre et les gens. »

Charles-Louis avait aussi laissé de l’argent. Tout compté, Liselotte héritait de plus de 330 000 florins, sans parler des objets en nature, et en dehors des terres allodiales, au sujet desquelles on n’était pas près de s’entendre. Mais elle ne vit pas un liard de l’argent et n’eut que le rebut des objets. Les florins servirent à embellir la maison de campagne du chevalier de Lorraine ou son appartement de Saint-Cloud, — il avait le plus beau du château, — et il en fut de même de tout ce qui fut à son goût dans les caisses envoyées d’Allemagne : « Madame, racontait sa tante Sophie, a dû voir avec patience les tapis et les meilleurs tableaux de Heidelberg dans la chambre du chevalier de Lorraine[2]. » Ce sont là de ces choses auxquelles les femmes sont particulièrement sensibles, et Madame ne les vit pas « avec patience. »

L’agacement produit par ces ignobles tracasseries vint bientôt se perdre dans une douleur effroyable, et pour laquelle Liselotte a trouvé des accens poignans. L’orgueil et les exigences de

  1. Compte de la succession revenant à Madame, etc. A. N., K. 552, n° 5.
  2. Du 31 octobre 1687, à Ferdinand de Degenfeld. C’était un frère de Louise.