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face de combinaisons vagues, que son père lui-même n’avait pas jugé à propos d’exécuter.

La duchesse Sophie prit chaudement le parti des orphelins : « La volonté de l’Electeur défunt est parfaitement claire, écrivait-elle ; je ne doute donc pas que l’Electeur actuel ne trouve dans son cœur quelque reconnaissance pour Monsieur son père,… et ne respecte ses dernières volontés[1]. » Le nouvel Electeur ne trouva dans son cœur de dévot qu’une provision de fiel, amassée depuis l’enfance contre ces bâtards envahissans qui lui avaient volé sa place au soleil, qui étaient choyés, caressés, « magnifiquement entretenus[2], » tandis que lui, le fils légitime, « végétait mesquinement » dans l’ombre, privé des soins les plus nécessaires[3], rudoyé, fagoté, sans le sol. L’un des premiers actes de son gouvernement fut d’interdire le territoire du Palatinat à Carl-Lutz, l’aîné, trop brillant et trop populaire. Un autre fut d’annuler[4] les arrangemens pécuniaires ébauchés par son père en faveur des raugraves. Ceux-ci n’avaient d’autre appui que Madame et la duchesse Sophie. La duchesse, bien que peu riche, se montra généreuse, et veilla avec un dévouement inlassable sur le troupeau demeuré sans berger : « J’aimerais mieux aller en chemise, écrivait-elle à Louise, que de vous laisser manquer ; vous pouvez… y compter[5]. » Madame eut une conduite qui nous gêne quand nous lisons sa tendre correspondance avec ses sœurs.

En paroles, elle ne trouvait jamais que l’on fit assez pour les raugraves. Elle fulminait contre son frère l’Electeur Charles, parce qu’il s’était borné à leur accorder, avec beaucoup de peine et de regret, des pensions que l’on devine avoir été chétives, et que, d’ailleurs, il ne payait guère. Madame trouvait sa lésinerie inconcevable, et ne se gênait pas pour le lui dire. Quand son frère fut mort (1685) et que le Palatinat eut passé à des parens éloignés, les pensions furent encore moins payées : « C’est une vraie honte, » déclarait Liselotte. Ou bien : « C’est abominable

  1. A la raugrave Caroline, le 28 novembre 1680.
  2. La duchesse Sophie à Caroline, le 21 avril 1681.
  3. La duchesse Sophie en avait fait des reproches à son frère : « (19 juin 1661.) Je suis tout à fait scandalisée du peu de soin qu’on avait de ce Prince durant le temps que j’étais à Heidelberg, » etc.
  4. Cf. Briefe der Kürfurstin Sophie von Hannover an die Raugräfinnen, etc., p. VIII.
  5. Du 28 octobre 1688.