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elle sans se soucier de sa personne, avec qui il n’était presque point en particulier. »

Dans cette profonde solitude morale, la princesse Liselotte se rattacha définitivement à une idée qui la poursuivait déjà en 1671 sur la route de Strasbourg-à Metz, tandis qu’elle hurlait de désespoir d’avoir quitté son Palatinat chéri pour venir épouser un duc d’Orléans. Il devint tout à fait clair pour elle, tout à fait positif, qu’il ne peut pas y avoir de bonheur en France pour une princesse allemande. Elle avait souvent perdu de vue cette pensée, au cours de ses années de faveur et de leurs joies. Jamais plus elle ne l’oublia. « L’Allemagne m’est toujours chère, disait-elle en 1706, et je suis si peu propre[1] à la France… » Vainement sa tante et ses sœurs répondaient à ses plaintes indignées sur nos défauts et nos vices qu’il y avait aussi à dire sur les Allemands et leurs mœurs. Madame s’étonnait de ces révélations : « Je suis fâchée que notre pays se gâte et que les honnêtes gens y deviennent aussi rares. » Ailleurs : « Je ne puis m’étonner assez de voir à quel point tout est changé en Allemagne. Il me semble que tout était mieux de mon temps[2]. » Non, tout n’était pas mieux ; il n’y avait de mieux que son âme de jeune fille heureuse, voyant le monde et l’humanité en beau. Madame ne s’en rendait pas compte et s’affligeait de ce qu’elle prenait pour une décadence ; mais sa tendresse pour l’Allemagne n’en souffrait pas. Elle entrait dans les torts de l’Allemagne comme dans ses peines. De l’Allemagne, elle comprenait tout ; de la France, rien.

C’est pourquoi, à l’heure des difficultés, elle n’inventa rien de mieux que de rentrer dans sa coquille. Elle donna l’exemple à la Dauphine, autre princesse allemande à qui la France ne réussissait pas non plus, et qui se montrait de moins en moins d’année en année. La Dauphine était une pauvre créature malsaine et mélancolique, qui ne sut pas prendre un parti avec le mari médiocre dont l’avait affublée la politique. Elle ne fit rien pour le garder, ne se résigna pas à le voir aller ailleurs, et s’enferma à son tour, « dans de petits cabinets derrière son appartement, sans vue et sans air[3]. » Le Roi se mit en frais pour

  1. En français dans l’original. Lettre du 28 novembre 1706 à la raugrave Amélise.
  2. Lettres du 6 mars 1699 et du 29 avril 1704 aux raugraves. La même idée se retrouve nombre de fois dans ses diverses correspondances.
  3. Souvenirs de Mme de Caylus, p. 108.