Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/819

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

belle et nécessiteuse ; ni qu’elle la dépeignait comme une « méchante bête, » rapace et malfaisante ; ni qu’elle ne lui pardonnerait jamais, jamais, d’avoir inspiré au Roi une affection respectueuse qui était autant de volé à elle-même, la princesse Liselotte et l’amie désintéressée. Mme de Maintenon sut tout cela, et eut assez d’empire sur soi pour n’en rien laisser paraître. Elle fut toujours déférente, ne se vengea point, ce qui lui aurait été si facile, et nous la verrons même, dans une conjoncture critique, rendre un grand service à Madame. Il y aurait injustice à lui en demander davantage, et à lui reprocher de ne pas avoir encouragé l’intimité de Louis XIV avec sa belle-sœur.

Il est de fait que cette intimité prit fin avec l’arrivée de Mme de Maintenon aux grandeurs. Le Roi cessa bientôt, ou à peu près, d’emmener Madame à la chasse. « C’est un ordre de la vieille, expliquait Liselotte à la duchesse Sophie. Il n’a plus le droit de m’emmener nulle part et, si j’avais quelque chose à lui dire, je serais obligée de demander une audience dans les règles[1]. » Mme de Maintenon ne se hasardait guère à donner des « ordres » à Louis XIV, mais elle était persuasive. Elle avait entrepris de lui faire faire son salut, — c’était la raison qu’elle s’était donnée, probablement de bonne foi, pour justifier à ses propres yeux sa conduite peu reluisante envers Mme de Montespan, — et elle n’avait pas trouvé Louis XIV insensible à la crainte de l’enfer. Un vent d’austérité souffla sur la cour de France, qui en avait bon besoin, il faut le reconnaître, et, par une bizarrerie du sort, l’honnête Liselotte en fut l’une des premières victimes. Louis XIV découvrit subitement, — le découvrit-il tout seul ? — que les propos salés dont il avait tant ri depuis douze ans étaient déplacés, et même scandaleux, à la cour du Roi Très-Chrétien, et il arriva ce que voici : « (Versailles, le 11 mai 1685.)… Le Roi a envoyé son confesseur trouver le mien, et m’a fait donner ce matin un savon épouvantable, en trois points. Premièrement, je suis trop libre en paroles, et j’ai dit à Monseigneur le Dauphin :


Et je vous verrais nu du haut jusques en bas
Que toute votre peau ne me tenterait pas.


Secondement, je permets à mes demoiselles d’avoir des galans[2] ;

  1. Du 2 août 1688.
  2. Les mots en italique sont en français dans l’original.