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ou non, on ne devient pas la maîtresse d’un grand prince à quarante-sept ans, pour peu qu’on ait de l’esprit, et Mme de Maintenon n’en manquait pas. Sans compter que ce n’était pas une passionnée ; elle était incapable d’un coup de folie. Il ne faudrait pas se figurer Louis XIV abîmé à ce point dans le respect qu’elle lui inspirait, qu’il ne lui ait jamais proposé de mal faire ; mais il fut toujours éconduit, ce qui dut le surprendre, et peut-être l’amuser ; c’était nouveau, cela le changeait.

La mort presque subite de la Reine, le 30 juillet 1683, vint tout arranger. « Le Roi est effroyablement affligé[1], » déclara Liselotte, que les années et les chagrins n’avaient pas rendue moins naïve. Louis XIV pleurait très facilement et se consolait de même ; trois jours après la mort de Marie-Thérèse, la Cour partait pour Fontainebleau. « Madame de Maintenon… parut aux yeux du Roi dans un si grand deuil, avec un air si affligé, que lui, dont la douleur était passée, ne put s’empêcher de lui en faire quelques plaisanteries[2]. » Elle fit le voyage dans son carrosse. Il la mit à Fontainebleau dans l’appartement de la Reine et prit l’habitude de tenir le conseil des ministres chez elle. En septembre, ils convinrent de se marier. Quelques mois plus tard, la cérémonie eut lieu à Versailles, de nuit et devant trois témoins. On en ignore la date. Les preuves morales du mariage foisonnent, mais il n’y eut rien d’écrit, et, dans la suite, aucun aveu formel. En 1687, Madame, qui aurait tant voulu savoir ce qu’il en était, répond à une question de sa tante : « Je ne peux vraiment pas vous le dire. Peu de gens en doutent, mais, tant que le mariage ne sera pas déclaré, j’aurai de la peine à y croire[3]. » Elle s’informe, fait une enquête, et n’aboutit point : « (14 avril 1688.)… Je n’ai pas pu apprendre si le Roi, oui ou non, avait épousé la Maintenon. »

En revanche. Madame croyait savoir des choses qui n’existaient que dans son imagination, aiguillonnée par la jalousie. Elle se flattait d’être un objet d’inquiétude constante pour Mme de Maintenon, depuis que la mort de la Reine avait permis à cette dernière les plus vastes ambitions. Elle se figurait, dans sa candeur, que « la vieille guenipe, » comme elle l’appelait ou encore « la vieille ordure, » la haïssait et la craignait parce

  1. Du 1er août 1683, à la duchesse Sophie.
  2. Souvenirs de Mme de Caylus, p. 124.
  3. Du 13 mai 1687, à la duchesse Sophie.