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de Madame sa mère sous les yeux, sans la flatter. Si elle se sépare, elle se trouvera aussi méprisée qu’elle dans le monde[1]. »

L’intervention de Carl-Lutz amena enfin une réponse de Liselotte ; mais on aimerait mieux qu’elle ne l’eût pas écrite, ou que la lettre se fût perdue avec tant d’autres. Les mensonges en sont trop gros. Quel que fût son désir de se justifier auprès de sa tante Sophie, de ne plus être grondée, Madame a perdu ce jour-là le droit de reprocher à Monsieur son manque de véracité : « (Paris, 24 novembre 1682.) Je suis vraiment honteuse quand je regarde les huit lettres de Votre Dilection qui sont là devant moi, et dont je ne vous ai pas encore remerciée ; mais j’espère que Votre Dilection aura de l’indulgence pour une pauvre tête troublée comme la mienne… Je ne suis pas étonnée que mes ennemis répandent en Allemagne, et dans le monde entier, des histoires de leur invention. Dieu m’est témoin, ainsi que toute la Cour et tous mes gens, qu’au milieu de mon chagrin, il ne m’est jamais échappé une mauvaise parole contre Monsieur ; que je ne lui ai jamais fait l’ombre d’un reproche, et que je n’ai jamais dit du mal de lui derrière son dos. Je me suis étudiée au contraire à ne rien dire qui pût le blesser, et, quand il me picote, je ne souffle pas mot. Comment aurais-je pu lui reprocher la mort de sa femme, moi qui suis plus convaincue que personne au monde que cela s’est fait sans qu’il le sache ? J’avoue que j’ai dit une fois, — il me reprochait de me tuer par mon chagrin[2] et ma violence, — que ma mort ne serait pas un grand malheur, et que je ne tenais pas assez à la vie pour craindre la mort, mais c’est tout… Je ne comprends pas pourquoi on dit que Monsieur et moi, nous vivons comme chat et chien. Nous avons toujours gardé les dehors, et au-delà ; nous ne nous sommes jamais disputés… »

Des mois passèrent, puis des années, sans amener une franche réconciliation. La « cabale » continuait à exciter Monsieur, et le Roi laissait faire. Assurément, ce n’était pas des conditions de bonheur pour Madame, l’éternelle vaincue de ce conflit inégal. Elle s’en serait pourtant tirée, s’il n’y avait pas eu Mme de Maintenon. Liselotte était capable de surmonter les chagrins provenant du chevalier de Lorraine, de retrouver le

  1. Briefe der Kurfürstin Sophie von Hannover an die Raugräfinnen, etc. (Leipzig, Hirzel).
  2. Les mots en italique sont en français dans l’original.