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n’en doutez pas. » On s’amusait de l’idée que Madame ne fût pas invulnérable, et il ne venait toutefois aucune mauvaise pensée à âme du monde, car, sans parler de raisons qui pourraient être désobligeantes, on la savait l’honnêteté même.

Elle, cependant, était en train de perdre la tête. Nous touchons au moment où Liselotte va afficher follement sa haine furieuse contre Mme de Maintenon, une véritable haine de femme jalouse, et qui serait restée une énigme, sans « la bonne Tarente » et quelques autres indiscrets. Les maîtresses du Roi n’avaient jamais porté ombrage à Madame ; leurs intérêts étaient trop différens. Madame n’en faisait point sa société ordinaire ; elle ne les évitait pas non plus, et elle s’était même rapprochée de Mlle de La Vallière après son entrée au couvent : « Je lui ai souvent dit, écrivait-elle, qu’elle n’avait fait que changer l’objet de ses sentimens, qu’elle donnait à Dieu tout ce qu’elle avait eu dans le cœur pour le Roi[1]. » Ce fut autre chose quand Mme de Maintenon se fit auprès de Louis XIV cette place à part où elle ne voulait pas entendre parler d’amour. Elle allait sur les brisées de Liselotte quand elle découvrait au Roi « le pays de l’amitié[2]. » Elle était sa rivale, et une rivale heureuse, quand les délices de sa conversation, l’une des plus parfaites de la Cour, disaient les connaisseurs, lui ramenaient un prince qui avait commencé par ne pouvoir la souffrir. Elle achevait la défaite de Liselotte, quand elle osait parler au Roi sérieusement et lui dire ses vérités. La pauvre Liselotte avait trop peur de déplaire. Elle cherchait trop à faire rire. On ne peut pas toujours rire. Peu à peu, le Roi se passa plus aisément de sa joyeuse belle-sœur. Vint le jour où il la congédia « d’un signe de tête, » pour se diriger vers l’appartement de Mme de Maintenon, et cela recommença le lendemain, le surlendemain, toujours. On se représente la souffrance d’une créature de passion comme Liselotte.

On aura remarqué que la lettre où Mme de Sévigné reproduit les confidences de la bonne Tarente est à peu près contemporaine de la mort de Charles-Louis. De telles secousses, se succédant de si près, furent plus que Madame n’en pouvait supporter. Elle se mît à déraisonner, et, par contre-coup, la petite cour de Monsieur fut sens dessus dessous. Les agitations n’y manquaient jamais, ni ce que Saint-Simon appelait « les horreurs ; » mais

  1. Fragmens de lettres originales de Madame, etc. Vol. I, p. 107.
  2. Le mot est de Mme de Sévigné.