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[1], » leur en firent prêter un autre au nouveau maître, et réclamèrent en son nom des contributions qu’il fallut payer. Deux d’entre eux s’installèrent à Heidelberg, sous prétexte d’affaires à traiter, et s’y rendirent intolérables. Ils se grisaient avec le vin de Charles-Louis, et devenaient alors si insolens que le pauvre homme en était réduit à s’estimer trop heureux quand sa santé, devenue très précaire, lui fournissait une excuse pour manger à part dans sa chambre. Il écrivait à sa sœur, le 3 avril 1680 : « Mon indisposition me rend libre [des insultes] qu’on souffre de ces messieurs français à table, quand ils s’enivrent, et mon maréchal en a le plaisir et l’incommodité, qui leur peut rendre la pareille pendant que je mange encore mon pain seul et en repos, sans me soucier des bisques. » De la duchesse Sophie, le 18 avril : « Je trouve insupportables les insolences que vous êtes obligé de souffrir du sieur de La Goupillière[2] ; la faveur de Liselotte lui sert de peu de chose, si elle ne peut obtenir qu’on vous traite d’une autre manière. » De Charles-Louis, le 24 avril : « Si vous saviez comment je suis tourmenté et par cy et par là, vous pardonneriez aussi bien à ma cervelle qu’à mes yeux que je vous rends compte si confusément… de mes pensées… »

Liselotte s’était pourtant mise en mouvement, par extraordinaire ; mais le peu qu’elle obtenait avec l’aide de son époux était aussitôt compensé par une nouvelle exigence : « (1er mai 1680) Liselotte fait [de] son mieux, et Monsieur aussi, à ce qu’elle me mande, et la faveur qu’ils me prétendent faire à la Cour pour l’amour d’eux n’est jamais sans queue… » Suivent des explications sur la « faveur » offerte, qui était plutôt une aggravation, d’après Charles-Louis. « Je crois, continuait celui-ci, qu’il n’y a [pas] d’homme sensé qui ne voye que sur les maximes présentes de la Cour de France, et avec le pouvoir qu’elle a en main, sans apparence de résistance, il n’y a personne en ces quartiers qui soit assuré de demeurer quinze jours en possession du sien sans se faire leur esclave, ce que l’Electeur Palatin n’est pas en humeur de vouloir faire. C’est pourquoi vous l’apprendrez bientôt chassé du Palatinat ou de ce monde ; ce dernier lui sera plus heureux peut-être et plus honorable ; au moins, la fin de tous ses maux. »

  1. Hauser, II, 640.
  2. Commissaire français.