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cruels pour les États allemands limitrophes de notre pays.

Louis XIV l’avait mise à profit poursuivre avec ténacité, sans aucun ménagement pour les voisins qui s’en trouvaient lésés, ce que Ranke appelle son « projet capital, » et qui n’allait à rien moins qu’à compléter la défense de nos frontières. Les difficultés étaient considérables. Le royaume étant envisagé comme une immense place forte, l’enceinte présentait des trouées à boucher ou à protéger, et cela était souvent impossible sans une rectification de frontière, sans un lambeau de territoire que les traités ne nous avaient pas donné et que Louvois, ou Vauban, jugeaient indispensable à l’exécution de leurs plans. Ce fut à s’assurer, sans coup férir, les agrandissemens convoités que tendit la politique extérieure du Roi.

Il s’agissait d’inventer un expédient pour rendre la paix « rongeante et envahissante. » On le trouva. Ce fut la création des « chambres de réunion, » chargées de rechercher si les provinces, les villes, les forteresses, les simples villages, annexés à la France depuis le début du règne, n’avaient point possédé à une époque quelconque, fût-ce sous les premiers Capétiens, fût-ce sous les Mérovingiens, des « dépendances » dont les traités récens n’avaient pas fait mention parce que la mémoire s’en était abolie, et qui auraient dû cependant, — telle était du moins la thèse française, — suivre le sort des centres de population auxquels ils se rattachaient jadis. On se mit à fouiller dans les archives : « — On rappelle un testament de Hugues Capet ! » écrivait la duchesse de Hanovre avec indignation[1]. On remonta jusqu’à Dagobert. On finissait toujours par découvrir quelque vieux parchemin nous donnant des « droits » sur le territoire désiré, et ou engageait alors avec le possesseur du moment des pourparlers qui rappellent la conversation du loup et de l’agneau dans la fable de La Fontaine. Je n’ai garde de défendre le système ; je ferai seulement observer qu’après l’avoir justement maudit, les Allemands lui ont trouvé du bon lorsqu’ils ont été les plus forts.

L’Electeur Palatin fut l’une des victimes des Chambres de réunion. La France s’adjugea des morceaux de ses États qui avaient figuré jadis parmi les « dépendances » de l’évêché de Metz. Nos troupes les occupèrent sans cérémonie ; nos agens « délièrent les habitans de leur serment de fidélité à l’Électeur

  1. Lettre du 27 mai 1680, à Charles-Louis.