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cent personnes avaient tues ou entendues, et sur lesquelles Liselotte devait pourtant savoir qu’elle ne donnerait pas le change à quelqu’un d’aussi bien informé que la duchesse Sophie. Comment s’y prenait celle-ci pour être au courant des menus faits de la cour de France, je ne saurais le dire ; mais il est certain que l’absence de journaux n’empêchait pas les chroniques mondaines de faire leur tour d’Europe, complétant ou rectifiant, à leur passage à Hanovre ou à Osnabruck, les lettres de Liselotte à sa tante.

Une seconde raison contribuera encore à rendre notre tâche délicate. Les peines qui vinrent à Madame du dehors se doublèrent d’une crise sentimentale dont elle n’eut garde de parler, car elle ne se rendit jamais compte de ce qu’elle éprouvait. Elle sut seulement qu’elle souffrait, qu’une grande ombre s’étendait sur sa vie, jusque-là si joyeuse, et qu’elle était au désespoir. Pourquoi cette peine amère, pourquoi ce cœur en deuil ? Plus d’un crut le deviner, et l’on en souriait entre soi, mais l’on n’en parlait guère, — prudence ou amitié, — et la cause de ce grand trouble nous échapperait aujourd’hui sans quelques lettres françaises qui s’éclairent les unes les autres. Nous espérons, avec leur aide, réussir à démêler d’où étaient nés les chagrins dont la pauvre Liselotte devait garder l’âme assombrie jusqu’à son dernier soupir.


I

L’horizon s’était obscurci pour elle de tous les côtés à la fois. En Allemagne, son père s’aigrissait de plus en plus par l’effet de l’âge, des infirmités, et de graves soucis politiques dont il reportait une large part, injustement, et nous avons dit pourquoi, à l’indifférence ou à l’incurie de sa fille. Avec les idées fausses dont il s’était toujours bercé sur le crédit de Liselotte auprès du roi de France, on comprend qu’il ne pût se défendre d’une profonde amertume en comparant ce qui était à ce qu’il avait espéré. Il avait tant compté sur ce mariage pour lui être une source d’avantages, qu’il s’exaspérait à chaque nouveau déboire, et la série ne faisait pas mine de s’arrêter. L’Electeur Palatin, beau-père de Monsieur, n’était pas mieux traité qu’un autre dans les conseils.de Saint-Germain, et la paix de Nimègue (1678-1679) avait été suivie de temps véritablement