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adressa au roi des Belges, ont quelque chose de poignant. Dans cette crise suprême, à cet oncle qu’elle aime comme un père, elle a besoin d’ouvrir son cœur, elle montre à nu la plaie saignante ; la pauvre petite orpheline de huit mois qu’il a bercée et recueillie jadis est maintenant une veuve de quarante-deux ans dont le cœur est complètement brisé. « Il n’existe plus pour elle de bonheur dans sa vie, le monde entier ne lui est plus rien. » Elle confesse alors ce qu’elle a laissé entrevoir de loin en loin dans quelques-unes de ses lettres, mais ce qu’elle n’a jamais exprimé aussi nettement, que le rôle de souveraine est antipathique à sa nature de femme. Elle l’a rempli courageusement et même joyeusement pendant des années, parce que son cœur débordait de bonheur domestique, parce qu’elle sentait auprès d’elle à son foyer le meilleur et le plus tendre des soutiens. Maintenant, elle ne désertera pas le devoir, ce serait manquer à la mémoire de celui qui n’est plus ; mais elle le remplira sans joie, uniquement pour continuer l’œuvre du prince, pour faire en toutes choses ce qu’il aurait désiré qu’elle fit.

Le roi Edouard VII arrête à cette date fatale la publication de la correspondance de son auguste mère. Ce n’est pas que les événemens aient manqué dans la dernière partie de la vie de la Reine, ou qu’elle y ait joué un rôle moins important. Mais la correspondance ultérieure ne nous apprendrait rien de nouveau sur son caractère. Nous la connaissons maintenant telle qu’elle doit rester dans la mémoire des hommes, telle que son peuple l’a comprise et aimée, comme l’expression la plus haute des trois qualités qui sont la marque principale des classes moyennes en Angleterre : le sentiment du devoir, le bon sens robuste et le culte de la vie de famille.


A. MEZIERES.