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que n’aurait pu l’être la France, L’Angleterre, qui n’avait pas vu le péril, n’a pas su le conjurer et en porte aujourd’hui la peine. Au moment où la Prusse ressuscitait contre nous le droit de conquête, le gouvernement britannique n’a pas prononcé la parole décisive qui aurait peut-être empêché l’annexion de l’Alsace et de la Lorraine. Il ne l’avait pas prononcée non plus en 1866, lorsque M. de Bismarck annexait à la Prusse le duché de Nassau, la ville libre de Francfort, le royaume de Hanovre, que tant de liens rattachaient à l’Angleterre. Quelle fut la part de la Reine dans cet effacement de la politique traditionnelle de son pays ? Les craintes que lui inspirait la France, ses sympathies pour l’Allemagne ont-elles influé sur son gouvernement ? Cela paraît vraisemblable, sans qu’on puisse le dire avec certitude, la correspondance publiée s’arrêtant en 1861, à la mort du prince Albert. Ce qu’on sait, par exemple, c’est qu’en 1860, elle annonçait une croisade contre ce perturbateur universel qui s’appelait Napoléon III.


VI

Les rapports politiques de l’Angleterre et de la France tiennent une place très importante dans la correspondance de la reine Victoria, mais ils sont bien loin d’en être l’unique objet. L’attention de la souveraine se porte à chaque instant sur toutes les questions qui intéressent l’Angleterre en Europe, hors d’Europe, aux Indes, en Chine, au Cap. Il n’y a pas une des parties de son immense empire sur laquelle elle n’exige des rapports détaillés qu’elle lit avec un soin scrupuleux. Son application au travail, son souci de tout savoir et de répondre à tout, faisaient l’admiration de l’empereur Napoléon, lorsqu’il était son hôte. Elle jouit infiniment de la vie de famille. Elle donne une large part de son temps à ses enfans et surtout à son mari. Mais ses chères affections n’empiètent jamais sur ses devoirs de souveraine. Elle les remplit tous ponctuellement, religieusement. Un principe domine sa conduite, une idée inspire ses résolutions : l’intérêt de l’Angleterre. Sur cet intérêt même elle a des vues personnelles et hautes. La grandeur morale de son pays la préoccupe autant que sa grandeur matérielle. Dans les notes écrites qu’elle adresse si fréquemment à ses ministres, elle blâme toutes les paroles ou toutes les mesures qui pourraient faire douter