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le premier spectacle de ce genre dont l’Angleterre eût été témoin. « Le plus haut prince du sang aussi bien que le plus humble simple soldat reçurent la même distinction pour leur vaillante conduite dans de rudes batailles, et la main rugueuse du brave et honnête simple soldat fut pour la première fois en contact avec celle de sa souveraine, de la Reine. Nobles gens ! j’avoue que j’ai pour eux les mêmes sentimens que s’ils étaient mes propres enfans. Mon cœur bat pour eux autant que pour mes plus proches et plus chers parens. »

La mort inattendue de lord Raglan ajoute une douleur à toutes celles qu’avait déjà causées la guerre de Crimée. Quelle pitié de penser qu’après avoir si souvent bravé la mort sur les champs de bataille, il n’a pas eu la consolation de tomber à la tête de ses soldats ! Les événemens décisifs approchent. Qui pourra le remplacer, quel chef inspirera à, l’armée anglaise la confiance qu’il inspirait ? La Reine ne cache pas qu’il y a là pour son gouvernement, pour elle-même, une cause de soucis et d’inquiétude. Heureusement, peu de semaines après, le 8 septembre, la prise de la Tour Malakoff amène la chute de Sébastopol. L’échec partiel qu’avaient éprouvé les Anglais à l’attaque du Grand-Redan disparaît dans la joie générale de la victoire. La Reine sent bien cependant que cette victoire nous est due et, dès le premier moment, elle charge le commandant en chef de l’armée anglaise de porter ses félicitations personnelles au général Pélissier. J’étais alors en Écosse où l’opinion publique accueillit la nouvelle avec moins de satisfaction. Assurément on était content de savoir terminé un siège qui avait duré si longtemps et coûté tant de vies humaines, mais on se sentait humilié que les troupes anglaises eussent échoué là où les Français avaient réussi. « Quel désastre ! me disait un habitant d’Edimbourg très patriote. Vous avez battu les Russes qui avaient battu les Anglais. Nous ne venons donc qu’en troisième ligne. » La Reine partage très vivement les sentimens de son peuple. Elle qui ne voulait pas la guerre, qui ne s’y était résignée qu’à la dernière extrémité, maintenant elle ne voudrait plus déposer les armes. Pourquoi ? par une raison bien simple. L’armée anglaise, dont la dure campagne de Crimée a révélé les imperfections, dont le cri public a dénoncé les vices, vient enfin d’être réorganisée, outillée pour de nouveaux combats. Jamais elle n’a été plus brillante. Au moment où elle atteint son apogée, va-t-on la