Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/743

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce séduisant personnage ? Comment concilier avec ces qualités apparentes l’expédition de Boulogne organisée après une promesse solennelle de ne pas rentrer en France, le coup d’Etat avec ses rigueurs et la confiscation si injuste des biens de la famille d’Orléans ? En cherchant une explication bienveillante, la Reine en arrive à conclure que l’Empereur est surtout dominé par sa confiance en son étoile. Le sens moral des actes qu’il accomplit disparaît à ses yeux lorsque la destinée les lui impose en quelque sorte. ils ne sont plus ni cruels, ni injustes, dès qu’ils deviennent nécessaires. Comment peut-elle croire ensuite l’Empereur incapable « des ruses et des fourberies » du roi Louis-Philippe ? S’il en a besoin pour accomplir sa destinée, pourquoi la tromperie lui coûterait-elle plus que l’injustice ou la cruauté ? Pauvre roi Louis-Philippe ! qu’est devenue l’affection d’autrefois ? Faut-il que l’affaire des mariages espagnols ait mis un bandeau sur les yeux de la Reine pour que le caractère mystérieux et fermé de Louis-Napoléon lui inspire plus de confiance que la loquacité cordiale et bon enfant du roi des Français ?

La séduction personnelle qu’exerce l’Empereur sur la Reine s’augmente encore après le voyage qu’elle fait à Paris en compagnie du prince Albert. La grandeur des souvenirs, la beauté des monumens la transportent d’admiration. Elle parle de l’enchantement où elle est plongée par la variété et par la magnificence des spectacles qu’on lui présente. « Je ne me suis jamais autant amusée, dit-elle... Je ne peux plus penser à autre chose, et j’en parle sans cesse. » Quelle scène inoubliable en effet, quarante ans après Waterloo, que la présence de la reine d’Angleterre devant le tombeau de Napoléon donnant le bras à l’héritier de son nom et de son trône ! Comment ne serait-elle pas reconnaissante de tout ce qu’on a fait pour lui plaire ? Comment pourrait-elle sans émotion voir défiler l’armée française, « une si belle armée, la compagne de ses troupes bien-aimées. » Mais, au milieu de ces élans d’admiration et de reconnaissance pour notre pays, la note qui domine est un sentiment très affectueux pour la personne de l’Empereur. La Reine vient de passer dix jours dans sa compagnie, douze ou quatorze heures par jour, souvent en tête à tête. Jamais elle n’a éprouvé avec lui aucun embarras ; elle s’est toujours trouvée à son aise, en mesure de traiter tous les sujets, même les plus intimes et les plus délicats. Elle admire son tact, son calme, sa simplicité, la distinction de