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de sa « noble flotte » pour la Baltique. Sur un petit bâtiment elle est passée la première, elle a vu successivement sortir tous les navires par un vent favorable. En passant devant elle, « de chaque bord montaient à trois reprises de chaleureuses acclamations. Ils partent glorieusement, suivis par les prières et par les bons vœux de tous. »

Le revirement qui s’est produit dans l’esprit de la Reine après l’échec des négociations avec la Russie est exprimé à merveille dans une lettre fort spirituelle qu’elle adresse au roi de Prusse. Celui-ci lui demandant d’examiner la question dans un esprit d’amour de la paix et même de construire un pont pour l’honneur impérial : « Je puis vous assurer, répond-elle, que tous les dons d’invention, toute l’architecture de la diplomatie et de la bonne volonté ont été employés inutilement pendant ces neuf derniers mois, à construire des ponts. Les projets de notes, de conventions, de protocole, ont été produits à la douzaine par les chancelleries des différentes puissances, et on pourrait appeler une autre Mer-Noire l’encre qui a été gaspillée à cet usage. Mais toutes les tentatives ont échoué contre la volonté de votre honorable beau-frère. » C’est bien au fond la pensée de la Reine. Seulement, le ton ironique qu’elle emploie par exception fait supposer à M. Jacques Bardoux, l’habile traducteur de la correspondance, qu’elle a eu ce jour-là un collaborateur. Serait-ce le prince Albert ? Il n’est pas impossible non plus que la reculade du roi de Prusse, qui, après avoir paru s’engager, lâchait pied, ait excité la verve et aiguisé l’esprit d’une personne aussi sincère que la reine d’Angleterre. On lui a tant recommandé depuis sa jeunesse le culte de la vérité, elle s’efforce si constamment d’être vraie, qu’elle démêle peut-être plus finement que personne les subterfuges et les faux-fuyans des autres.


IV

Une fois la guerre engagée, la pensée de la Reine se tourne tout entière vers la Crimée. Elle attend des nouvelles avec angoisse. La bataille de l’Aima la remplit de joie et d’orgueil. « Mes nobles troupes, écrit-elle, se sont conduites avec un courage et un acharnement admirables... je suis si fière de mes nobles et chers soldats ! » Il y a malheureusement un revers de médaille auquel elle est infiniment sensible : les malades, les blessés, les