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Comment traiter la question librement à Bruxelles avec le gendre et la fille de l’adversaire ?

La gêne persiste jusqu’au jour où Louis-Philippe perd sa sœur, Madame Adélaïde, qui lui a rendu tant de services, qui avait pour lui une affection si profonde et si active. Encore la reine Victoria, qui autrefois aurait écrit spontanément à l’annonce d’un si grand malheur, ne veut-elle pas le faire sans l’assentiment de son premier ministre. Elle demande à lord John Russell si la reprise de la correspondance interrompue depuis les mariages espagnols ne sera pas considérée en France comme l’indice d’un rapprochement politique. Elle plaint sincèrement Louis-Philippe, frappé de nouveau dans une très chère affection, elle ne voudrait cependant rien faire qui pût être interprété comme l’oubli des griefs récens de l’Angleterre. La réponse de lord John Russell mérite d’être citée comme un rare exemple de noblesse morale. Il n’éprouve aucune hésitation à dire que la Reine fera bien de suivre sa propre et généreuse impulsion et d’écrire une lettre au roi des Français. « Il y aura quelques personnes, — et M. Guizot sera peut-être du nombre, — qui y verront un acte politique ; mais il vaut mieux s’exposer à une fausse interprétation de ce genre que de ne pas accomplir un acte de sympathie envers le Roi si cruellement frappé. » La Reine s’exécute galamment, mais si on compare le court billet qu’elle écrit aux lettres antérieures, quel changement de ton ! C’est correct, ce n’est que correct. L’ancienne tendresse a disparu momentanément, toute prête à reparaître si les circonstances la réveillent.

Ces circonstances furent les journées de Février. Lorsque Louis-Philippe eut quitté Paris et se fut réfugié à Honfleur, c’est le consul anglais au Havre, l’agent de lord Palmerston, qui trouva le moyen de soustraire le Roi à la curiosité publique, peut-être même à quelque malveillance, et de le faire embarquer ainsi que la Reine sur un bâtiment britannique. C’est à l’Angleterre que les exilés demandaient asile et, en s’adressant personnellement à la Reine, ils escomptaient d’avance l’accueil qui les attendait. Accueil plein de cordialité et de pitié sincère. La Reine entend ne pas se mêler des affaires intérieures de la France ; elle ne tentera aucun effort pour replacer Louis-Philippe sur le trône ; mais sur le sol anglais, partout où ils voudront s’établir, elle offre au Roi dépossédé et à sa famille la plus