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si l’influence de lord Melbourne s’exerçait encore au Palais, il n’hésiterait pas à donner sa démission motivée et à porter la question devant le Parlement. Il ne le fit pas, n’ayant pas de preuves, mais il aurait certainement bondi s’il avait appris que la Reine continuait à correspondre avec lord Melbourne et le consultait quelquefois sur des questions délicates. Quels que fussent les inconvéniens et les dangers de cette correspondance, la Reine ne pouvait se résigner à être complètement séparée de l’homme qu’elle avait vu presque chaque jour pendant quatre années, qui ne lui avait donné au début de son règne que des preuves de dévouement et d’affection. Sous la correction politique de la souveraine, s’étonnera-t-on, s’indignera-t-on lorsque les sentimens de la femme reparaissent par instans ?

Sir Robert Peel soupçonnait-il ou redoutait-il quelque chose de ce genre lorsqu’il éprouvait en présence de la Reine un embarras qu’il ne réussissait pas à surmonter ? Aux yeux des témoins impartiaux, pendant les premiers mois de leurs relations, ils ne se sentaient à l’aise ni l’un ni l’autre. Ils surveillaient leurs gestes et leurs paroles pour ne pas laisser transparaître leurs sentimens intimes. En pareil cas, la femme est toujours supérieure à l’homme ; elle sait mieux que lui composer son attitude et son visage. Il arrivait quelquefois à la Reine de prendre un air dégagé, tandis que le pauvre Premier s’empêtrait dans ses saluts et dans ses phrases. Embarras passager du reste, que fit cesser plus tard l’estime mutuelle dont les deux interlocuteurs ne purent se défendre en se connaissant mieux. Au commencement de 1843, le roi des Belges félicitait sa nièce d’avoir un chef de gouvernement aussi ferme et aussi honorable que sir Robert Peel, et la Reine répondait qu’elle le croyait tout à fait supérieur à l’esprit de parti. Elle était si bien entrée dans son rôle constitutionnel qu’elle s’attacha à sir Robert Peel et qu’elle le regretta lorsqu’un changement de ministère l’obligea à se séparer de lui, comme elle s’était séparée de lord Melbourne. Les regrets sont presque les mêmes, exprimés tout au moins avec une vivacité analogue.


III

De toutes les questions politiques que soulève la correspondance de la reine Victoria, la plus intéressante pour nous est