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d’un étranger dans les questions nationales ne suscitât contre lui une opposition formidable. Mais, dans cette circonstance, on n’avait pas le choix. La souveraine se serait trouvée bien isolée, si, en face d’un ministère nouveau qu’elle connaissait à peine et qui ne lui inspirait aucune sympathie, elle n’eût trouvé dans son intérieur aucun réconfort. Elle ne se décida cependant que sur les instances de lord Melbourne, lorsque lui-même eut garanti la discrétion et la réserve du prince. Cette hésitation témoigne de la haute idée que se faisait cette jeune femme des devoirs royaux. Même dans l’entraînement de l’amour conjugal le plus ardent, elle ne voulait pas s’exposer à subir une influence, un ascendant dont auraient pu souffrir les intérêts de l’Angleterre. Lord Melbourne lui garantissant que le prince n’abuserait jamais de la confiance qu’on lui témoignerait, lui permettait de se livrer en toute sécurité au penchant de son cœur. L’harmonie politique du ménage tint alors en grande partie à l’extrême prudence du prince Albert, décidé à ne donner son avis que sur les questions au sujet desquelles on le consulterait, à ne se mêler de rien en dehors de ce qui lui serait soumis. S’il exerçait une action par la justesse de son esprit, cette action toute désintéressée, on ne pouvait lui reprocher ni de l’avoir provoquée, ni même de l’avoir désirée.

Forte de l’appui qu’elle est sûre de trouver dans son intérieur, la Reine ne laisse évaporer entre les mains des nouveaux ministres aucune parcelle de son autorité. Dès le premier jour, elle indique ce qu’elle a le droit d’attendre d’eux. Le nouveau premier ministre, sir Robert Peel, ayant oublié d’informer la Reine que la Chambre des communes vient d’être ajournée, la Reine fait remarquer cet oubli et demande en même temps à recevoir chaque jour, comme sous le précédent ministère, un court rapport sur les séances des deux Chambres. Il ne lui convient pas non plus que les nominations de quelque importance puissent être faites sans qu’on lui ait demandé son avis. Il est bien probable qu’elle ne fera pas d’objections aux nominations qui lui seront proposées, mais elle tient à ce qu’on n’informe pas l’intéressé avant qu’elle ait eu le temps d’apprécier elle-même les qualités et la capacité de la personne. Sir Robert Peel accepte très loyalement cette situation, à condition toutefois que la Reine n’entretienne aucune correspondance politique avec son prédécesseur. Le fidèle Stockmar est averti par lui que