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Après les ennuis de la politique étrangère viennent les soucis beaucoup plus douloureux de la politique intérieure. La Reine a recueilli des mains de son prédécesseur un ministère whig qui répondait à ses idées personnelles et dont le chef, l’excellent lord Melbourne, est devenu, dans la conduite ordinaire de la vie, le plus dévoué, le meilleur des conseillers. Les billets qui s’échangent entre eux presque tous les jours témoignent de l’étroite union de leurs esprits. Mais le régime parlementaire n’est pas favorable à la longue durée des ministères. Une heure arrive où les Whigs, mis en minorité, sont obligés de remettre leur démission à la Reine. Elle en éprouve un profond chagrin. Il lui en coûte infiniment d’appeler au pouvoir un parti qui remplace le confident habituel de sa pensée politique, et dont les membres, au moment de son mariage, ont usé de procédés peu courtois, presque offensans à son égard et surtout à l’égard de son mari. Ne sont-ce pas eux qui ont réduit la liste civile proposée par le gouvernement pour le prince-consort ? Il faut cependant se résigner à offrir le pouvoir au chef de ces Tories détestés. La Reine ne le fait pas sans une révolte intérieure, avec une sourde colère. Si la souveraine cède aux nécessités du régime parlementaire, la femme proteste, et voudrait au moins conserver ses étroites relations d’amitié avec lord Melbourne. On a beaucoup de peine à lui faire comprendre que, malgré le désir qu’elle en témoigne, il lui est impossible de recevoir dans l’intimité le chef du parti vaincu, lorsque les vainqueurs sont au pouvoir. Il devient nécessaire que Stockmar intervienne et explique à lord Melbourne que, s’il conservait la même faveur, les mêmes entrées qu’autrefois, la Reine aurait l’air de trahir ses ministres du jour au profit des ministres du passé.

Dans cette crise qui lui est extrêmement douloureuse, dont elle parle au roi des Belges avec une profonde émotion, la Reine est soutenue par le dévouement et par l’affection du prince Albert. Lord Melbourne, en se séparant d’elle, a indiqué le remède : associer le prince aux affaires du gouvernement. Jusque-là, malgré toute sa tendresse, la Reine le tenait à l’écart des affaires publiques, par un sentiment très net de la souveraineté qui n’appartenait qu’à elle, peut-être aussi pour ne pas donner prise au patriotisme ombrageux de son peuple. Bien des indices lui faisaient craindre que la moindre apparence de l’intervention