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auraient dû le faire avec moins de réticences et en allant directement au but au lieu de passer par des intermédiaires suspects. Il n’en restera pas moins dans beaucoup d’esprits une impression d’incertitude et de malaise, impression qu’il nous serait difficile de dissiper, mais que, du moins, nous ne voulons pas augmenter par des commentaires inutiles. Il n’est pas douteux que le Pape a fait ce qu’il a cru être son devoir, et il a sans doute personnellement souffert au moment de prendre une détermination dont il comprenait la rigueur ; mais tout le monde autour de lui n’en a pas souffert comme lui ; il semble même que certains amis de l’Église s’en sont réjouis autant peut-être que l’ont fait ses ennemis. Les uns ou les autres se trompent ; mais lesquels ?


Depuis quelques jours, un changement considérable s’est produit dans la situation au Maroc : par malheur, il n’est pas fait pour diminuer les difficultés avec lesquelles nous sommes aux prises. Ces difficultés sont trop délicates et elles peuvent devenir trop graves pour que nous nous attardions à dire qu’elles ne se seraient pas produites, si on avait suivi les conseils que nous n’avons pas cessé de donner : on nous permettra pourtant de les rappeler. Combien de fois n’avons-nous pas demandé qu’on ne prît parti pour aucun des deux compétiteurs qui se disputent la couronne chérifienne ? Nous ne devions rien, assurément, à Abd-el-Aziz : pourquoi ne nous sommes-nous pas bornés à respecter en lui le Sultan régulier du Maroc, tout en laissant aux événemens le soin de prononcer entre lui et son frère ? Celui-ci ne cessait pas de nous faire des avances, que nous ne pouvions pas accepter officiellement et qu’il y avait même des inconvéniens à écouter officieusement, mais que nous n’avions pas à décourager tout à fait.

À force de répéter que Moulaï-Hafid était notre ennemi et de le traiter en conséquence, nous nous sommes exposés à le rendre tel en effet, et cela sans la moindre nécessité, sans la moindre utilité. À quoi bon, pensait-on, se gêner avec lui ? Nous lisions dans les journaux, sans beaucoup y croire, qu’il n’existait pas, qu’il ne représentait aucune force, qu’il avait toutes les tribus contre lui, qu’il était abandonné de tous les siens, enfin qu’il était une ombre sur laquelle il suffirait de souffler pour qu’elle se dissipât. C’était peut-être vrai, mais il aurait fallu un autre souffleur qu’Abd-el-Aziz. Notre illusion a été de croire qu’il nous suffirait de nous prononcer en faveur de ce pâle fantôme pour lui donner une force qu’il n’avait pas ; nous ne