Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 45.djvu/711

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Jusqu’à quel point devons-nous aller ? Les avis sont très partagés. Quelques-uns considèrent l’adoption de la civilisation occidentale comme une grave erreur, causant plus de mal que de bien ; d’autres, au contraire, veulent pousser les changemens jusqu’à effacer entièrement toute distinction entre le Japon et l’Europe. Le sens commun et la philosophie nous conseillent, tous deux, un moyen terme, quelque compromis entre les deux extrêmes. Les conservateurs les plus enracinés doivent admettre que le Japon moderne a plutôt gagné par l’importation de certaines idées nouvelles.


Plus loin, discutant les avantages et les inconvéniens des deux systèmes et le rôle joué par l’Etat, notre auteur dit :


Les hommes politiques ne se sont pas encore prononcés nettement, mais les éducateurs, les savans et les moralistes ont choisi ; ils se séparent en deux camps opposés. Partout de graves questions sont soumises à notre examen-: devons-nous conserver nos coutumes, nos traditions ; ou devons-nous imiter les Européens ? Le foyer occidental sera-t-il notre modèle, ou garderons-nous, comme un dépôt précieux, nos anciennes mœurs, notre antique vie domestique ? Quelle position allons-nous faire à la femme ? Sera-ce celle des Américaines, celle de la Française, de l’Allemande, de l’Anglaise ? Ou bien prendrons-nous les modèles de vertu et de charme féminins dans notre histoire nationale ? En éducation, en morale, en esthétique, les Orientaux ont un idéal différent de celui des Occidentaux. Les deux principes sont opposés et inconciliables. Nos penseurs, malgré eux combattent pour l’un ou pour l’autre.


La divergence d’opinion devient de plus en plus manifeste. On ne peut pas l’ignorer, et la lutte consciente ou, le plus souvent, inconsciente, devient très sérieuse. Le socialisme, la question brûlante d’aujourd’hui, mais qui le sera encore plus demain, est à peine discuté par le docteur Otsuka, qui le considère d’un point de vue tout spécial, car il dit :


La doctrine socialiste est un produit de la civilisation occidentale et le résultat du choc de deux idées, l’individualisme et le cosmopolitisme. Il y a plusieurs sortes de socialisme, dont une offre des affinités très grandes avec nos idées traditionnelles sur les relations réciproques de certaines classes entre elles et envers l’État. Ce qu’on appelle socialisme d’État semble s’étendre dans notre pays ; on a aussi prétendu qu’il y était, pour ainsi dire, indigène et, par cela même, méritait d’être soutenu. Cela se peut ; en tout cas, la doctrine socialiste a beaucoup d’influence dans la politique chez les autorités locales et dans les questions financières. Si prépondérante est l’influence que le socialisme exerce dans quelques milieux qu’il semble bientôt devoir rivaliser d’importance avec les deux grands problèmes qui divisent le pays : la civilisation occidentale et le nationalisme. Cependant, nous ne pensons pas que, dans l’avenir, il puisse garder longtemps le rang auquel il prétend. Mais pour le moment, il