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contre les tendances individualistes et matérialistes. Les philosophes qui naguère captivaient l’esprit public, matérialistes, évolutionnistes, rationalistes, dont les livres étaient lus dans toutes les écoles, ont perdu beaucoup de leur prestige. « Nous en sommes revenus, » me disait un jour un homme haut placé, et ces paroles caractérisent très exactement la situation. Ils en sont revenus ou, peut-être mieux encore, ils essayent d’en revenir.

Le baron Kikuchi développa la même pensée dans la conférence qu’il fit en février à l’Université de Londres. Rappelant les premières influences de la pensée européenne sur l’éducation moderne au Japon, il s’exprima ainsi :


En 1872, après la promulgation de la première loi sur l’instruction, les livres chinois sur la philosophie et l’histoire qu’on avait coutume de mettre entre les mains des jeunes gens furent remplacés par les œuvres de Rousseau, de Montesquieu, de Mill, de Spencer, et ainsi de suite, qu’on leur donnait le conseil de lire. L’effet produit par de telles lectures sur de jeunes esprits, déjà enclins à mépriser les anciennes traditions et à attacher beaucoup de prix à l’enseignement occidental, s’imagine aisément. Vers la fin du siècle dernier, le besoin d’un code, d’une morale plus élevée et plus spiritualiste se fit sentir.

Les Japonais semblaient aller à la dérive sans savoir où ils aboutiraient. D’aucuns qui, cependant, ne croyaient pas eux-mêmes aux vérités chrétiennes, voulaient les enseigner comme base de morale ; d’autres parlaient vaguement d’une religion nouvelle ; d’autres enfin proposaient le retour aux vieux principes de Confucius. L’antique code de dévouement au devoir, de loyauté et de piété filiale avait été maintenu parmi les hommes âgés, et l’influence du milieu familial chez quelques-uns était encore assez forte pour retenir la jeune génération. Peu à peu, le Japon comprit et apprécia mieux la grandeur de son héritage, et, lorsque le rescrit impérial fut publié en octobre 1890, la nation sentit que le problème était résolu, que, dorénavant, le code spirituel légué par les ancêtres impériaux serait la base solide de tout enseignement moral applicable à leurs descendans et sujets, et infaillible en tout temps et en tout lieu.


Ce peuple, qui a si souvent fait preuve de perspicacité et d’énergie en prévenant à temps les dangers imminens, a de nouveau montré ces qualités en s’efforçant de remédier au mal présent, — qui n’est après tout qu’un mal de transition, — et il s’en est pris à la racine même, à l’organisation de la vie nationale en armant les jeunes générations contre le socialisme.

Sans aucun doute, la croissance rapide du socialisme a contribué à amener cette réaction. Les principes du devoir, les doctrines morales ont été reconnus la seule base d’éducation,