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changement radical dans le gouvernement étant la seule manière d’assurer l’indépendance du pays. La promptitude, la rapidité du procédé de transformation est aussi étonnante que les merveilleux résultats obtenus. Mais c’est précisément cette énergie, cette activité surprenante qui empêcha de pénétrer profondément dans les détails. La grande hâte avec laquelle tout fut accompli ne laissa pas le temps de la réflexion. Ainsi bien des formes nouvelles ont été adoptées sans qu’on eût compris la raison de leur existence et bien des méthodes appliquées dont on ignorait totalement l’origine et le but. Bien des pratiques et des habitudes nuisibles, hélas ! ont été importées en même : temps, telles que l’abus de l’alcool. J’ai été très étonné même, à ma première visite, de voir avec quelle facilité on créait de nouveaux besoins sans avoir le moyen de les satisfaire et avec quelle rapidité on démolissait l’ancienne construction de la société sans avoir préparé une nouvelle fondation pour la rebâtir.

La tendance à attirer le peuple vers les grandes villes m’a surpris aussi, car on sait que, dans tes vastes capitales de l’Europe et des Etats-Unis, on cherche plutôt à réduire la population en envoyant dans les campagnes le surplus des indigens. Je n’ai jamais bien compris non plus la nécessité de cette création artificielle de besoins nouveaux, et pourquoi on cherchait à développer l’esprit mercantile chez le peuple alors qu’il restait satisfait d’une vie simple et n’était pas prêt pour toutes ces innovations. Mais ce qui me semblait encore le plus grave de tous les symptômes, c’était l’absence complète de tout effort apparent pour prévenir des collisions éventuelles : on ne prenait aucune mesure efficace pour dissiper les nuages menaçans qui s’amoncelaient sur l’horizon social. Des désordres locaux, des grèves, des émeutes d’ouvriers passaient presque inaperçus, et, à ce propos, j’ai souvent remarqué la profonde surprise avec laquelle on me voyait attacher de l’importance à ces désordres dans la rue. Mais ce qui m’alarmait, ce n’était pas l’étendue plus ou moins grande de ces manifestations de mécontentement, ou le mal qu’elles faisaient vraiment, mais de constater que le mécontentement existe et qu’il éclate en violences contre l’autorité. La discussion et la violence, le soulèvement contre l’ordre social et l’insubordination, voilà des faits d’importance.

Que l’état de choses existant ne réponde plus aux exigences nouvelles, et que les autorités ne soient plus maîtresses absolues