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qu’on pouvait observer dans chacun d’eux des dispositions originales. Il n’est pas douteux cependant que la morale était partout considérée comme un des facteurs les plus importans. Ce qui caractérisait l’éducation de collège à cette époque, surtout dans les institutions privées, c’étaient les épreuves et les privations forcées. Je n’oublierai jamais les temps où, en commun avec mes camarades, nous ne prenions que deux repas par jour, et des plus sommaires, quand nous ne jeûnions pas, car la nourriture se composait la plupart du temps d’un peu de riz avec très peu de sel ou de quelque mets analogue. Nous faisions la cuisine nous-mêmes, chacun à son tour. Nous balayions et nous l’avions nos chambres et aussi celles des maîtres. Souvent nous nous servions, au milieu des hivers les plus durs, d’eau froide pour notre toilette, etc. Nous faisions chauffer l’eau pour les bains des autres élèves. Quelquefois, par les saisons rigoureuses, nous passions des nuits entières avec très peu de feu afin de nous habituer à la dure. Dans ces temps-là, aucune idée de l’hygiène ; ni les maîtres, ni les élèves ne se préoccupaient des questions de santé, comme on le fait aujourd’hui. L’idée de paraître ou de soigner sa mise ne nous inquiétait jamais, car plus on négligeait ces choses, plus on était considéré comme un esprit fort. C’est sans doute par suite de cette première éducation, que moi personnellement j’ai horreur d’affecter des airs de noble ou de suivre la mode : ainsi, par exemple, n’ayant jamais eu l’habitude pendant ma jeunesse de porter des gants, je ne peux pas les endurer maintenant, même les jours d’hiver,


Plus loin, à propos de l’entraînement moral, le baron dit :


Il y avait aussi le Bushido qu’on peut appeler le code d’honneur du chevalier japonais. Le Bushido retenait dans son étau la classe militaire, qui dépendait des seigneurs féodaux et n’avait pas à se préoccuper de l’existence matérielle. Ces gens n’étaient pas riches, mais ils avaient de quoi vivre, et la frugalité était une de leurs vertus. Leur unique souci était de remplir leur devoir envers leur seigneur, de le suivre, et, en temps de guerre, de se battre pour lui ; mais, comme la paix s’était maintenue durant plus de deux siècles et demi, les hommes de la classe militaire, n’ayant pu se livrer à leur occupation professionnelle, avaient tourné leur activité vers les conquêtes de l’intelligence, tout en continuant leurs exercices militaires. En un mot, ils cherchaient à se rendre aussi gentilshommes que possible ; ainsi se forma un Code d’honneur qui, primitivement fondé sur le devoir militaire seul, devait ensuite se doubler d’un code de distinction capable de former un vrai chevalier fidèle à son seigneur.


Le passage où il fait allusion aux changemens récens n’est pas moins caractéristique.


Quand notre pays s’ouvrit aux autres nations, il y eut un moment où nous perdîmes la maîtrise de nos mœurs, car le confucianisme fut en baisse et nos rapports avec les étrangers ébranlèrent notre ancienne moralité, et le peuple en vint à s’imaginer que tout l’idéal des Européens était de se débarrasser également de la contrainte et du devoir.