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Il est vrai que dans les mœurs médicales se sont introduites quelques innovations fâcheuses, entre autres ce qu’on appelle, en argot professionnel, la dichotomie. La dichotomie, c’est une sorte de courtage que certains médecins prélèvent sur les honoraires du chirurgien qu’ils ont fait appeler. Le client qui paye au chirurgien telle ou telle somme, fixée à l’avance, est alors trompé, puisque aussi bien il ignore qu’une partie de cette somme est attribuée au médecin. Pourquoi ces subterfuges ? Pourquoi cette dissimulation ? C’est un manque de franchise et un manque de dignité. En outre, il est à craindre que le médecin, séduit par la perspective d’une fructueuse dichotomie, ne fasse appeler de préférence tel ou tel chirurgien, non parce qu’il est plus expérimenté et plus habile, mais parce qu’il accepte ce partage des honoraires, véritable fraude vis-à-vis du client. Qui. sait même si des opérations inutiles n’ont pas été conseillées et exécutées pour ce seul motif ? La dichotomie, qui est d’invention relativement récente, mérite donc d’être regardée comme également peu honorable pour le médecin et pour le chirurgien qui la pratiquent. Il serait à désirer qu’il y eût pour les médecins, comme pour les avocats, un conseil de l’Ordre, destiné à juger les manquemens au devoir professionnel. Les médecins n’ont pu jusqu’à présent s’entendre à ce sujet ; et c’est regrettable. Il y a, à la vérité, de grandes associations médicales, qui sont florissantes et puissantes, et qui font beaucoup de bien. Mais elles sont surtout destinées à soulager les infortunes des médecins pauvres, et de leurs familles, à distribuer des secours et des pensions. Elles n’ont aucune autorité pour juger la conduite professionnelle du médecin.

Les critiques sévères auxquelles j’ai fait allusion ne portent pas seulement sur la moralité, mais encore sur la science des médecins. Il serait facile d’établir, je l’avoue, que les 20 000 médecins de France ne sont pas tous des savans. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit : il s’agit de savoir si, dans l’ensemble, les médecins ont une instruction médicale suffisante.

Or il est aujourd’hui presque impossible de délimiter les connaissances médicales en suffisantes et insuffisantes. Il n’est pas, à l’heure actuelle, possible de connaître également bien la science chirurgicale, les maladies mentales, les accouchemens, les maladies des yeux, la chirurgie abdominale, les maladies des enfans, etc. Les spécialistes sont, dans leur spécialité même,